Imaginez les Jeux olympiques de Londres 2012. Des milliers d’athlètes, des records qui tombent, des médailles qui brillent. Et derrière les podiums, un système secret qui permet à certains coureurs russes, pourtant suspectés de dopage sanguin, de fouler la piste sans crainte. C’est exactement ce qu’aurait orchestré une partie de la direction de l’athlétisme mondial à l’époque. Et au centre de cette tempête, un nom revient sans cesse : Papa Massata Diack.
Un procès qui n’en finit pas de rebondir
Ce lundi 8 décembre, la cour d’appel de Paris va rouvrir un dossier que beaucoup pensaient clos. Papa Massata Diack, fils de l’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (aujourd’hui World Athletics), doit être rejugé. La Cour de cassation a en effet annulé, en novembre 2024, une partie de sa condamnation précédente, estimant que la motivation de la cour d’appel n’était pas suffisante sur le chef de complicité de corruption passive.
Pour comprendre l’ampleur du scandale, il faut remonter à 2011. À l’époque, plusieurs athlètes russes présentent des profils sanguins anormaux dans leur passeport biologique. Au lieu de les suspendre immédiatement, certains dirigeants traînent volontairement les procédures. Résultat : plusieurs d’entre eux participent aux JO de Londres, puis aux Mondiaux 2013 à Moscou.
En échange ? Des contrats de sponsoring juteux renouvelés par de grands parrains russes. L’argent coule à flots, et une partie atterrit dans les poches de responsables de l’IAAF.
Les faits reprochés, en clair
En première instance, en septembre 2020, Papa Massata Diack avait été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende d’un million d’euros. La cour d’appel de 2023 avait confirmé la peine de prison mais réduit l’amende à ,000 euros. La Cour de cassation a annulé la partie concernant la complicité de corruption passive, mais a maintenu la culpabilité pour :
- Corruption passive
- Corruption active
- Recel de fonds
- Détournement de plus de 15 millions d’euros via des sociétés-écrans sur des contrats de sponsoring
Autrement dit, même si le nouveau procès ne porte que sur un chef précis, l’essentiel de la condamnation reste intact. Mais ce détail juridique peut tout changer sur la peine finale.
Un homme toujours en fuite
Depuis 2016, Papa Massata Diack fait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par Interpol à la demande de la justice française. Il vit au Sénégal, qui refuse jusqu’à présent son extradition. Il ne sera donc pas physiquement présent à l’audience, comme lors des précédentes.
Son avocat, Me Emanuel de Dinechin, répète que son client “conteste fermement toutes les accusations” et qu’il n’était “que le fils du principal intéressé”. Une défense qui sera à nouveau mise à l’épreuve devant les magistrats parisiens.
« Il est dans l’attente de finir enfin cette affaire »
Maître Emanuel de Dinechin, avocat de Papa Massata Diack
L’héritage empoisonné de Lamine Diack
Derrière le fils se profile toujours la silhouette du père. Lamine Diack, président de l’IAAF de 1999 à 2015, est décédé en 2021 alors qu’il était lui aussi condamné pour corruption. Ce Sénégalais charismatique avait hissé l’athlétisme au rang de deuxième sport olympique le plus regardé. Mais il a terminé sa carrière dans le déshonneur.
Le scandale a éclaté en 2015 grâce à des enquêtes journalistiques et à la commission d’éthique de l’IAAF. Il a révélé un système où le dopage russe était couvert en échange d’argent. Un véritable séisme qui a conduit à l’exclusion temporaire de la Russie des compétitions internationales d’athlétisme pendant plusieurs années.
Pourquoi ce procès reste capital en 2025
Dix ans après les révélations, l’athlétisme tente toujours de se reconstruire. World Athletics, sous la présidence de Sebastian Coe, a multiplié les réformes : indépendance des instances disciplinaires, renforcement des contrôles, transparence financière. Mais chaque nouvelle audience rappelle que les cicatrices sont profondes.
Ce nouveau procès, même limité à un point juridique précis, envoie un message fort : la justice française ne lâche pas l’affaire. Elle continue de poursuivre ceux qui ont sali le sport pour de l’argent.
Pour les victimes indirectes – les athlètes propres privés de médailles ou de sélections à cause de concurrents dopés –, c’est aussi une forme de reconnaissance tardive.
Ce qui pourrait changer à l’issue de ce procès
- Si la complicité de corruption passive est à nouveau retenue, la peine de cinq ans de prison pourrait être confirmée ou alourdie.
- En cas de relaxe sur ce chef, la peine globale pourrait être revue à la baisse.
- Les 15 millions d’euros détournés restent, eux, définitivement acquis au titre du recel.
Quoi qu’il arrive, Papa Massata Diack restera probablement hors de portée des autorités françaises tant que le Sénégal refusera l’extradition. Un épilogue judiciaire en demi-teinte pour une affaire qui a marqué à jamais l’histoire du sport.
Le 8 décembre, les regards seront tournés vers la salle d’audience de la cour d’appel de Paris. Pas pour voir un sprint sur 100 mètres, mais pour assister à la dernière ligne droite d’un marathon judiciaire qui dure depuis plus de dix ans.
Et quelque part, sur les pistes du monde entier, des athlètes continueront de courir. En espérant, cette fois, que la seule chose qui dope leurs performances soit leur talent. Et rien d’autre.









