Elle a tout juste 19 ans mais porte déjà en elle les cicatrices d’une enfance brisée. Angélina, ancienne enfant placée à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord, se prépare à affronter ses bourreaux lors du procès qui s’ouvre ce lundi 14 octobre au tribunal correctionnel de Châteauroux. Pendant cinq jours, 19 personnes y comparaîtront pour avoir hébergé illégalement et maltraité des adolescents confiés par l’ASE entre 2010 et 2017. Le cerveau présumé du réseau, Bruno C., risque gros : il est aussi accusé de viols répétés sur sa propre fille.
Une mémoire à vif
Malgré les années, Angélina n’a rien oublié. Les souvenirs défilent, cruels et précis. Retirée à sa famille à 9 ans, elle se retrouve ballottée de foyer en famille d’accueil. C’est lors d’un “séjour de rupture” dans la Creuse qu’elle tombe dans l’enfer orchestré par Bruno C. et son acolyte Julien M. Là-bas, dans une caravane délabrée, elle s’entasse avec quatre ou cinq autres filles de son âge, subissant brimades et humiliations.
On m’a enlevée à mes parents et on m’a mis dans quelque chose de pire. L’ASE n’a pas su me protéger.
Angélina, ancienne enfant placée
Un code vestimentaire abusif
Pas de pantalons mais des jupes courtes, pas de sous-vêtements mais du maquillage à outrance… Bruno C. impose ses règles perverses aux adolescentes, qu’il emmène lui-même faire les boutiques pour mieux assouvir ses pulsions. Chaque matin, lui et son épouse vérifient d’une main baladeuse qu’aucune n’a osé enfiler culotte ou soutien-gorge. Un rituel humiliant et traumatisant.
Des hurlements dans la nuit
La nuit, c’est une autre forme d’horreur qui se joue. Dans la maison, les hurlements de douleur d’Ema, la fille de Bruno C., réveillent Angélina et son amie. Prenant leur courage à deux mains, elles se risquent à aller frapper à la porte. La scène qui s’offre alors à elles les hantera à jamais : Ema, nue et attachée, subissant le viol de son père sous les yeux indifférents de sa mère. Un supplice incestueux pour lequel Bruno C. sera condamné à 20 ans de prison en 2017.
On a pris le prétexte de demander un verre d’eau pour aller frapper. J’ai vu Ema nue, les mains attachées, son père sur elle. Elle criait. Et la mère faisait comme si de rien n’était.
Angélina, témoin du viol
Des signalements restés lettre morte
Terrorisée à l’idée d’être la prochaine victime, Angélina tente d’alerter son éducatrice lors d’un transfert. En vain. Sa parole, comme celle d’autres enfants auditionnés par les gendarmes et ayant dénoncé agressions sexuelles et viols, n’est pas prise au sérieux. Il faudra des années et l’obstination de quelques adultes pour que l’affaire éclate enfin au grand jour et débouche sur ce procès fleuve. Un combat qui laisse Angélina amère vis-à-vis des services censés la protéger.
Je lui en veux de façon infinie. Après la Creuse, j’ai mis des années à me relever.
Angélina, sur l’Aide sociale à l’enfance
Un procès pour faire la lumière
Au delà du cas d’Angélina, c’est tout un système qui sera jugé à Châteauroux. Pourquoi l’ASE a-t-elle continué à confier des mineurs à des familles non agréées ? Comment les signalements de maltraitances et d’abus ont-ils pu rester si longtemps ignorés ? Quels dysfonctionnements ont permis à ce réseau de prospérer pendant des années au détriment des enfants les plus vulnérables ? Autant de questions auxquelles devra répondre ce procès hors normes. Un procès crucial pour qu’enfin, la parole et la souffrance d’Angélina et des autres victimes soient entendues.