Aux Philippines, un scandale de corruption d’une ampleur rare défraie la chronique. Imaginez : des millions de pesos destinés à protéger des communautés contre les inondations dévastatrices, envolés, laissant derrière eux des digues inachevées ou carrément inexistantes. Ce n’est pas une fiction, mais une réalité qui touche des milliers d’habitants, confrontés à des catastrophes naturelles aggravées par la négligence et l’avidité. Ce scandale, centré sur les tristement célèbres “digues fantômes”, a déjà fait tomber des têtes politiques de haut rang et continue de susciter l’indignation.
Un scandale qui secoue l’archipel
Le scandale des digues fantômes a éclaté au grand jour lorsqu’un ministre s’est rendu dans une province au nord de Manille pour inspecter une digue financée par des fonds publics. À sa grande stupéfaction, il n’a trouvé qu’un amas de terre, loin de l’ouvrage promis. Ce n’était pas un cas isolé : plus d’une centaine de projets similaires, censés protéger les populations contre les inondations, sont aujourd’hui pointés du doigt. Ce scandale, l’un des plus graves depuis des décennies, a révélé une corruption systémique qui prive les Philippins de protections vitales.
Le président du Sénat et, plus récemment, le président de la chambre basse, un proche du président Ferdinand Marcos Jr., ont été emportés par la tempête médiatique et politique. Ce scandale a même dominé le discours sur l’état de la nation prononcé par Marcos en juillet, après des semaines d’inondations meurtrières qui ont ravagé l’archipel. Les habitants, eux, attendent toujours des réponses et des solutions concrètes.
Des digues fantômes à Bulacan
Dans la province de Bulacan, au nord de l’île de Luçon, le problème est particulièrement criant. Cette région, déjà vulnérable aux inondations en raison de la surexploitation des nappes phréatiques et de l’affaissement des sols, souffre cruellement de l’absence de protections efficaces. Un projet de digue, financé à hauteur de 100 millions de pesos (environ 1,5 million d’euros), a été déclaré “achevé” il y a plus d’un an. Pourtant, sur place, les travaux sont inexistants ou inachevés.
“C’est un projet fantôme. L’argent a clairement été volé.”
Un ministre philippin des Travaux publics
Cette révélation a conduit au licenciement d’un ingénieur en chef et de deux autres responsables, mais pour les habitants, le mal est déjà fait. Les fonds publics, censés financer des infrastructures vitales, semblent s’être évaporés, laissant les communautés exposées aux caprices de la nature.
L’impact dévastateur sur les habitants
Dans les villages comme celui de Frances, à Bulacan, les conséquences de ces projets inachevés sont dramatiques. Chaque année, les Philippines sont frappées par une vingtaine de tempêtes ou de typhons, et l’élévation du niveau de la mer aggrave encore la situation. Sans digues fonctionnelles, les inondations submergent les maisons, les écoles et les moyens de subsistance des habitants.
Leo, un ouvrier du bâtiment de 35 ans et père de deux enfants, témoigne de la difficulté quotidienne :
“Même sans typhon, l’eau nous arrive aux cuisses. La digue est incomplète, et l’eau s’infiltre partout.”
Leo, habitant de Bulacan
Pour les familles, la vie est devenue un combat constant contre l’eau. Les enfants doivent être portés pour aller à l’école, et les maisons sont envahies par des eaux boueuses, rendant les rez-de-chaussée inhabitables. Certains habitants, comme Nelia, une professionnelle de la santé, ont dû déplacer leurs cuisines à l’étage pour échapper à la montée des eaux.
Des infrastructures de mauvaise qualité
Lors d’une visite rare dans le village de Frances, le président Marcos lui-même a reconnu la mauvaise qualité des travaux réalisés. Selon lui, les digues construites sont “pleines de trous” et totalement inefficaces. Cette observation est partagée par les habitants, qui décrivent des structures inutiles, incapables de retenir l’eau, même dans les sections prétendument terminées.
Pour Nelia, la situation est désespérante :
“La digue est inutile. L’eau passe par-dessous et à travers les trous.”
Nelia, résidente de Frances
Les conséquences vont au-delà des dégâts matériels. Les inondations à répétition favorisent la propagation de maladies comme la leptospirose ou le pied d’athlète, obligeant les écoliers à porter des bottes en caoutchouc pour se rendre en classe. Cette situation, qui aurait pu être évitée avec des infrastructures adéquates, met en lumière l’ampleur du scandale.
Une colère qui monte
Face à l’inaction et à la corruption, la colère des Philippins s’intensifie. Une grande manifestation, baptisée la “Marche du Billion de Pesos”, est prévue à Manille. Ce nom fait référence à une enquête révélant que des milliards de dollars, destinés à des projets climatiques depuis 2023, auraient été détournés. Ce mouvement, soutenu par des organisations comme Greenpeace, vise à exiger des comptes et à pousser pour des réformes structurelles.
Pour les habitants de Bulacan, cette mobilisation est un signe d’espoir, mais aussi une source de frustration. Beaucoup, comme Leo, ne croient plus aux promesses des politiciens. “L’important, c’est qu’ils rendent l’argent”, déclare-t-il, ajoutant qu’il laisse le reste “à Dieu”. Cette résignation reflète un sentiment plus large : dans un pays où les scandales de corruption sont monnaie courante, les coupables échappent souvent à des sanctions sévères.
Les causes profondes du problème
Le scandale des digues fantômes n’est pas un incident isolé. Il s’inscrit dans un contexte de corruption endémique aux Philippines, où les fonds publics sont régulièrement détournés. Voici quelques facteurs clés qui alimentent ce problème :
- Manque de transparence : Les projets publics, comme les digues, sont souvent attribués sans appels d’offres clairs, favorisant le népotisme.
- Faibles sanctions : Les politiciens reconnus coupables échappent fréquemment à des peines lourdes, ce qui décourage la lutte contre la corruption.
- Vulnérabilité climatique : Les Philippines, frappées par des catastrophes naturelles fréquentes, ont un besoin urgent d’infrastructures fiables, rendant les détournements encore plus préjudiciables.
Dans ce contexte, les projets climatiques, comme les digues, sont particulièrement visés par les détournements, car ils attirent des financements internationaux importants. L’enquête de Greenpeace estime que 17,6 milliards de dollars auraient été détournés depuis 2023, un chiffre vertigineux qui illustre l’ampleur du problème.
Que faire pour changer la donne ?
Pour les habitants de Bulacan et d’ailleurs, la reconstruction de la confiance passe par des actions concrètes. Voici quelques pistes envisagées :
Action | Impact attendu |
---|---|
Renforcer la transparence | Garantir que les fonds publics sont utilisés correctement. |
Sanctions exemplaires | Dissuader les futurs détournements. |
Engagement communautaire | Impliquer les habitants dans le suivi des projets. |
En attendant, les habitants de Bulacan continuent de vivre dans la peur des prochaines inondations. Pour eux, chaque jour sans digue fonctionnelle est un jour de trop. La promesse de Marcos de résoudre le problème est accueillie avec un mélange d’espoir et de scepticisme. Les Philippins, habitués aux scandales, savent que les paroles ne suffisent pas. Ils veulent des résultats tangibles.
Un avenir incertain
Le scandale des digues fantômes est bien plus qu’une affaire de corruption. Il met en lumière les failles d’un système où les plus vulnérables paient le prix des abus de pouvoir. À Bulacan, les habitants continuent de lutter contre les inondations, mais aussi contre un sentiment d’abandon. La “Marche du Billion de Pesos” pourrait marquer un tournant, mais seule une action concertée permettra de restaurer la confiance et de protéger les communautés.
Alors que les tempêtes continuent de frapper l’archipel, une question demeure : combien de temps les Philippins devront-ils attendre pour que leurs digues deviennent réalité ? La réponse, pour l’instant, reste suspendue, comme l’eau qui envahit leurs foyers.