Un scandale sans précédent secoue actuellement l’armée gabonaise. Huit officiers et sous-officiers sont accusés d’avoir torturé à mort un jeune militaire soupçonné de vol. Cette affaire, qui provoque une vague d’indignation dans l’opinion publique depuis plusieurs jours, pousse les plus hautes autorités du pays à réagir fermement.
Tout a commencé avec la diffusion sur les réseaux sociaux d’images insoutenables montrant le corps mutilé du jeune homme dans une morgue. Devant l’émoi suscité, le gouvernement a rapidement annoncé une série de mesures de plus en plus drastiques.
Une réaction en crescendo des autorités
Dans un premier temps, le ministère de la Défense a publié un communiqué évoquant un « incident » et assurant que toutes les personnes impliquées seraient auditionnées. Mais face à la pression, le chef de l’État en personne, le général Brice Oligui Nguema, a fini par s’impliquer.
Le jour de Noël, il s’est rendu au domicile de la famille du défunt pour présenter ses condoléances. Dans la foulée, des décisions fortes ont été annoncées :
- Le placement en détention provisoire des huit militaires suspectés
- L’audition de leurs supérieurs, dont deux généraux
- Le dessaisissement des services de sécurité militaire de l’enquête
- L’ouverture d’une information judiciaire
Les circonstances du drame
Selon le procureur de la République Bruno Obiang Mve, la victime, le second maître Johan Bounda, « aurait trouvé la mort dans des circonstances tragiques après avoir été violemment pris à partie (…) en raison d’une accusation de vol présumé qui aurait eu lieu chez son supérieur hiérarchique ».
Plusieurs médias locaux affirment que c’est dans les locaux de la tristement célèbre direction générale de la contre-ingérence et de la sécurité militaire (DGCISM), surnommée B2, qu’ont été perpétrés les actes de torture « barbares » dénoncés par le procureur.
Une enquête retirée au B2
Fait notable, c’est ce même service, le B2, qui avait été initialement chargé d’enquêter sur ce décès suspect. Mais devant le tollé, le dossier lui a été retiré et confié à d’autres unités d’investigation, la direction générale des recherches et la direction générale des services spéciaux.
Le chef de l’État a demandé au ministre de la Défense « de veiller personnellement à l’aboutissement de cette enquête afin que les sanctions appropriées soient infligées aux coupables et servent d’exemple à tout militaire qui tenterait de poser des actes similaires ».
Communiqué du ministère de la Défense
Un scandale en pleine transition politique
Ce drame intervient à un moment délicat pour le Gabon, en pleine transition politique depuis le coup d’État du 30 août 2023 qui a renversé le président Ali Bongo. Le pays se prépare à une élection présidentielle censée rendre le pouvoir aux civils.
Une nouvelle Constitution vient d’être adoptée par référendum et une commission spéciale planche sur la réforme du code électoral. Si le général Oligui a promis d’organiser ce scrutin, il ne cache pas pour autant ses ambitions personnelles. La date du vote reste incertaine.
Ce scandale vient donc compliquer un peu plus une situation politique déjà tendue. Il met en lumière les dérives d’une armée toute puissante, véritable État dans l’État. Des pratiques indignes qui ternissent l’image des forces de sécurité et renforcent la défiance de la population.
Un électrochoc salutaire ?
Mais ce drame pourrait aussi être l’occasion d’un sursaut salutaire. En réagissant fermement, en sanctionnant les coupables, en retirant l’enquête au sulfureux B2, les autorités envoient un signal fort. Elles montrent leur volonté de mettre fin à l’impunité et de restaurer la confiance.
Cette affaire sera un test majeur pour la crédibilité des dirigeants de la transition. S’ils parviennent à faire éclater la vérité, à rendre justice à la victime et sa famille, à réformer en profondeur l’armée, ils prouveront leur bonne foi. Dans le cas contraire, leurs belles promesses de renouveau démocratique sonneront bien creux.
Une chose est sûre : l’opinion publique gabonaise, choquée et en colère, suivra de très près les développements de cette affaire emblématique. Dans un pays qui aspire à tourner la page des années de plomb, ce scandale de trop pourrait bien être celui qui précipite les changements tant attendus.