Nouveau rebondissement dans la saga de la restitution des trésors africains pillés à l’époque coloniale. Vendredi 20 décembre, la maison de vente aux enchères parisienne Millon a dû retirer in extremis de sa vacation un sceptre royal béninois datant du XIXe siècle. Une décision prise sous la pression des autorités du Bénin, qui contestent la version selon laquelle cet objet aurait été « offert » par le roi Béhanzin lors de sa reddition face aux troupes françaises en 1894.
Un sceptre « offert » ou pillé ?
Selon le catalogue de la vente, ce sceptre en laiton et fer, orné de motifs et de figures, aurait été remis volontairement par le roi Béhanzin lui-même au colonel Dodds, qui dirigeait l’expédition française. Une version que réfute catégoriquement Cotonou. Pour Marie-Cécile Zinsou, une Franco-Béninoise engagée pour la restitution des biens culturels, interrogée par RFI, il est inconcevable que le souverain ait cédé de son plein gré cet insigne de pouvoir :
La récade est le symbole même de la royauté. Béhanzin n’aurait jamais offert son propre sceptre, qui concentre tous les attributs de sa puissance. C’est un objet sacré, inaliénable.
Marie-Cécile Zinsou, militante pour la restitution
De son côté, le ministère béninois de la Culture maintient que le sceptre a été spolié comme de nombreux autres trésors lors de la mise à sac du palais d’Abomey. Il rappelle que ces objets sont aujourd’hui dispersés, au-delà des collections publiques françaises, chez des particuliers et des institutions religieuses.
Tensions autour des restitutions
Cette affaire s’inscrit dans un contexte de vives tensions autour de la question des restitutions. En 2021, la France a rendu au Bénin 26 œuvres majeures provenant du Trésor d’Abomey, reconnaissant pour la première fois officiellement leur spoliation. Une avancée saluée, mais jugée encore insuffisante par Porto-Novo qui réclame la restitution de plusieurs autres pièces emblématiques :
- La sculpture du dieu Gou, divinité suprême du vaudou, détenue par le Louvre
- Des sceptres et récades royaux dispersés dans des collections privées
- Des objets sacrés et du quotidien conservés dans les réserves de plusieurs musées français
Le ministre béninois de la Culture Jean-Michel Abimbola assure que son pays utilisera « tous les moyens légaux » pour obtenir le retour de ce patrimoine dispersé. Des négociations sont en cours avec les autorités françaises mais aussi en direct avec certains collectionneurs et détenteurs d’objets litigieux.
Un musée unique au monde
Pour accueillir les trésors rapatriés, le Bénin a inauguré en 2022 un musée d’un genre unique : il est entièrement dédié aux sceptres et récades, ces emblèmes du pouvoir des anciens rois du Dahomey. Avec une scénographie immersive et des dispositifs numériques innovants, il ambitionne de faire revivre ce patrimoine longtemps tenu à l’écart des Béninois. Pour Marie-Cécile Zinsou, les 26 œuvres restituées en 2021, désormais exposées dans ce lieu, sont « autant d’ambassadeurs » pour faire avancer la cause de la restitution :
Quand les gens voient ces trésors pour la première fois, il y a un choc, une prise de conscience. Ils réalisent l’injustice de cette captivité dans les musées occidentaux. Ces œuvres sont des graines qui font germer une soif de retrouvailles avec ce patrimoine confisqué.
Marie-Cécile Zinsou, militante pour la restitution
Le retrait du sceptre de Béhanzin de la vente Millon est donc une victoire pour Cotonou, même s’il ne préjuge pas d’une restitution à ce stade. L’objet reste pour l’instant entre les mains de descendants de l’officier français qui s’en était emparé en 1894. Mais il ne fait guère de doute que le Bénin continuera de se battre pour sa récupération, au nom de la reconquête de son héritage culturel.
Une longue bataille juridique et diplomatique
Au-delà de ce cas emblématique, la restitution des biens culturels africains est devenue un sujet brûlant sur les plans juridique, politique et diplomatique. De plus en plus de pays du continent, à l’instar du Bénin, multiplient les demandes officielles et n’hésitent plus à hausser le ton face aux anciennes puissances coloniales.
Mais le chemin est encore long et semé d’embûches. Même quand les États européens acceptent le principe des restitutions, de nombreux obstacles surgissent :
- Le manque d’inventaires précis des œuvres détenues et de leur traçabilité
- Les contraintes juridiques, beaucoup de biens étant considérés comme inaliénables car relevant du domaine public
- Les réticences des musées, qui craignent de se voir dépouillés et arguent de leur rôle de conservation
- Le coût et la complexité logistique du rapatriement de collections entières
Conscients de ces difficultés, les pays africains cherchent des solutions innovantes. Certains misent sur des accords de prêts ou de dépôts à long terme pour faire « circuler » les œuvres. D’autres envisagent une « restitution virtuelle » via le numérique, en attendant des retours physiques. Le Bénin a ainsi lancé un vaste plan de digitalisation de son patrimoine.
Mais tous sont désormais déterminés à faire plier les anciennes métropoles. Et l’opinion internationale leur est de plus en plus favorable. En 2020, un rapport d’experts onusiens a qualifié la rétention des biens culturels issus de la colonisation de « violation flagrante des droits humains ». Le débat ne fait que commencer.