En février 2020, un conteneur de bananes arrive au port de Marseille. À l’intérieur, pas de fruits, mais 3,3 tonnes de cocaïne, saisies par les douanes. Ce qui semblait être une opération antidrogue classique va révéler un scandale bien plus vaste, impliquant l’office HLM de Martigues et son président, le maire communiste de 83 ans. Comment une affaire de drogue internationale a-t-elle mis au jour un réseau de corruption et de favoritisme dans une ville jusque-là discrète ?
Un scandale aux multiples facettes
L’affaire commence par un coup de filet inattendu. Les douanes, alertées par une balise GPS, découvrent une cargaison record de cocaïne dans un conteneur en provenance d’Amérique du Sud. Cette saisie mène les enquêteurs à une villa proche de Martigues, occupée par un entrepreneur lié à l’office HLM local, la Semivim. Rapidement, les investigations prennent un tournant inattendu : au-delà du trafic de drogue, c’est un système de corruption et de favoritisme dans l’attribution des marchés publics qui émerge.
La Semivim, qui gère près de 3 000 logements sociaux à Martigues, devient le centre d’une enquête judiciaire ouverte en 2021. Ce n’est pas seulement une affaire de drogue : les marchés publics liés au BTP semblent avoir été manipulés, avec des entreprises prêtes à payer pour obtenir des contrats. Cette découverte secoue la ville, bastion communiste depuis 1959, et met en lumière des pratiques troublantes au sein de l’administration locale.
Du trafic de drogue à la corruption
Le point de départ de cette affaire est presque digne d’un polar. En février 2020, les autorités interceptent un conteneur de bananes au port de Marseille. À l’intérieur, pas de purée de fruits, mais une quantité astronomique de cocaïne : 3,3 tonnes, une des plus grosses saisies de l’histoire française. Une balise GPS, placée par les enquêteurs, conduit à une villa près de Martigues, où un chef d’entreprise local, en lien avec la Semivim, est arrêté.
Lors des interrogatoires, un employé de l’office HLM, chargé de la médiation, livre des révélations explosives. Il décrit un système bien rodé où des entreprises du BTP obtenaient des marchés publics en échange de pots-de-vin, de voyages ou de cadeaux. Ces pratiques, qui auraient débuté dès 2019, impliquent des figures clés de la Semivim, dont une ancienne directrice du patrimoine et son compagnon, tous deux placés en détention provisoire en 2021.
« Cette mise en examen est l’aboutissement d’une procédure qui a permis de faire la lumière sur bien des contre-vérités. Elle n’enlève rien à mon innocence. »
Le maire de Martigues, en réponse aux accusations de favoritisme.
Ce n’est pas tout. L’enquête révèle un climat toxique au sein de la Semivim, marqué par des accusations de harcèlement moral et de pressions sur les salariés. Des alertes internes, ignorées pendant des années, pointent du doigt une gestion problématique de l’office HLM. Ces témoignages, recueillis dès 2020, mettent en cause la direction de l’organisme et soulèvent des questions sur la responsabilité des élus locaux.
Le maire dans la tourmente
Au cœur de ce scandale, une figure emblématique : le maire de Martigues, en poste depuis 2009 et président de la Semivim jusqu’en 2023. En avril 2025, il est mis en examen pour favoritisme, un chef d’accusation qui, bien que moins grave que la corruption, ternit l’image de cet édile de 83 ans. Le juge lui reproche de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher les dérives au sein de l’office HLM, malgré de multiples signalements.
Les accusations portent sur une commission d’appel d’offres (CAO) à laquelle le maire n’a pas directement participé. Pourtant, en tant que président de la Semivim, il était censé garantir la transparence des processus. Des salariés affirment avoir alerté à plusieurs reprises sur des irrégularités, sans que des actions concrètes ne soient prises. Cette négligence présumée place le maire dans une position délicate, à moins d’un an des élections municipales.
Un système opaque où des entreprises du BTP obtenaient des contrats en échange de faveurs, dans l’ombre d’une municipalité communiste historique.
Le maire, soutenu par son parti, clame son innocence. Dans une déclaration, il affirme qu’aucun euro n’a disparu des caisses de la Semivim et que les accusations de favoritisme sont infondées. Son parti insiste : il n’y a ni enrichissement personnel ni corruption directe. Pourtant, l’opposition municipale, sentant l’opportunité à l’approche des élections, ne manque pas de critiquer une gestion jugée laxiste.
Un système de corruption bien huilé
L’enquête judiciaire, menée par la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, met en lumière un mécanisme sophistiqué. Des entreprises du BTP, notamment trois filiales d’un groupe spécialisé dans la rénovation, auraient versé des sommes importantes pour s’assurer des contrats. En 2023, ces sociétés ont accepté de payer une amende collective de 1,7 million d’euros via des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) pour éviter un procès.
Les investigations ont également conduit à onze mises en examen, dont celles de la directrice du patrimoine de la Semivim et de son compagnon. Ces derniers sont accusés d’avoir fourni des informations privilégiées à des entrepreneurs en échange de rémunérations. Des élus locaux, dont deux adjoints au maire, sont également poursuivis pour des faits similaires, renforçant l’idée d’un réseau profondément ancré dans les rouages de l’office HLM.
Pour mieux comprendre l’ampleur du scandale, voici les principaux éléments mis en lumière par l’enquête :
- Trafic de drogue : Une saisie de 3,3 tonnes de cocaïne en 2020 sert de point de départ à l’enquête.
- Marchés truqués : Des entreprises du BTP obtenaient des contrats via des paiements en espèces ou des cadeaux.
- Favoritisme : Des informations privilégiées étaient transmises pour avantager certaines sociétés.
- Harcèlement : Un climat toxique au sein de la Semivim, avec des alertes internes ignorées.
- Mises en examen : Onze personnes, dont des élus et des employés, sont poursuivies.
Les répercussions politiques
À Martigues, ville historiquement ancrée à gauche, ce scandale a des conséquences explosives. À moins d’un an des élections municipales de 2026, l’opposition, notamment le Rassemblement national, qui gagne du terrain dans la région, y voit une occasion de critiquer la gestion communiste. Des élus de la majorité, issus d’autres formations politiques, ont pris leurs distances, certains allant jusqu’à démissionner.
En 2022, deux élus locaux, l’un de la France insoumise et l’autre écologiste, ont quitté la majorité municipale, fragilisant encore davantage la position du maire. Ces défections, combinées à la pression médiatique, placent la municipalité dans une situation délicate. L’opposition dénonce une gestion opaque, comparant la ville à un « club privé » où les citoyens paieraient les conséquences d’une administration défaillante.
« À quelques mois des élections, les Martégaux découvrent que la ville est gérée comme un club privé, sauf qu’on paye tous la cotisation sans avoir les mêmes droits. »
Un conseiller municipal d’opposition.
Pourtant, le maire conserve le soutien de son parti, qui insiste sur sa présomption d’innocence. La section locale du PCF rappelle que les accusations se limitent au favoritisme, sans preuve d’enrichissement personnel. Mais dans une ville où la confiance dans les institutions est ébranlée, ces arguments peinent à convaincre.
Un climat toxique au sein de l’office HLM
Outre les accusations de corruption, l’enquête a mis en lumière un environnement de travail délétère à la Semivim. Dès 2020, des salariés ont signalé des cas de harcèlement moral et de pressions exercées par la direction. Ces alertes, transmises à plusieurs reprises, n’ont pas été suivies d’actions concrètes, selon les témoignages recueillis par les enquêteurs.
Un rapport indépendant avait même désigné l’ancienne directrice du patrimoine comme une figure centrale de ces problèmes. Malgré cela, aucune mesure n’a été prise avant que l’affaire n’éclate au grand jour. Ces révélations jettent une lumière crue sur la gestion interne de l’office HLM et soulèvent des questions sur la responsabilité des dirigeants, y compris celle du maire en tant que président.
Événement | Date | Détails |
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Saisie de cocaïne | Février 2020 | 3,3 tonnes de cocaïne interceptées à Marseille. |
Ouverture de l’enquête | Octobre 2021 | Enquête pour corruption et favoritisme à la Semivim. |
Mises en examen | 2021-2024 | Onze personnes, dont des élus et employés, poursuivies. |
Amende des entreprises | Fin 2023 | 1,7 million d’euros payés pour éviter un procès. |
Mise en examen du maire | Avril 2025 | Accusation de favoritisme pour négligence. |
Une ville sous pression
Martigues, ville côtière des Bouches-du-Rhône, est connue pour son patrimoine communiste et sa stabilité politique. Mais ce scandale remet en question l’image d’une municipalité irréprochable. Les habitants, choqués par les révélations, commencent à douter de la transparence de leurs élus. À l’approche des municipales, la pression est à son comble pour le maire et son équipe.
Les conséquences de cette affaire ne se limitent pas au cadre judiciaire. Elles touchent également la confiance des citoyens envers leurs institutions. Dans une région où l’extrême droite progresse, ce scandale pourrait redessiner le paysage politique local. Les prochaines élections seront un test crucial pour la majorité communiste, qui risque de perdre du terrain face à une opposition galvanisée.
Que réserve l’avenir ?
L’enquête judiciaire est loin d’être terminée. Si le maire clame son innocence, les investigations continuent pour déterminer l’ampleur des responsabilités. Les autres personnes mises en examen, dont des élus et des employés de la Semivim, devront également répondre de leurs actes. La justice, qui a déjà obtenu des amendes importantes de la part des entreprises impliquées, semble déterminée à faire toute la lumière sur cette affaire.
Pour les habitants de Martigues, ce scandale est un choc. La ville, longtemps perçue comme un modèle de gestion communiste, doit désormais faire face à une crise de confiance. Les révélations sur le trafic de drogue, les marchés truqués et le favoritisme jettent une ombre sur l’administration locale. Reste à savoir si le maire parviendra à démontrer son innocence, comme il le promet, ou si cette affaire marquera la fin d’une ère politique.
Entre drogue, corruption et politique, Martigues est à un tournant. L’issue de cette affaire pourrait redéfinir l’avenir de la ville.
En attendant, les Martégaux observent, partagés entre indignation et espoir d’un renouveau. Ce scandale, qui mêle trafic de drogue et malversations financières, restera sans doute dans les annales comme un exemple frappant des dérives possibles au sein des institutions publiques. Une chose est sûre : l’histoire de Martigues est loin d’être terminée.