Le monde associatif sous le choc. Selon des révélations explosives, l’Abbé Pierre, figure emblématique de la lutte contre la pauvreté et fondateur du mouvement Emmaüs, est accusé par de multiples femmes de violences sexuelles, dont un viol sur mineure. Des témoignages glaçants qui ternissent l’image du prêtre adulé et interrogent sur l’omerta qui régnait au sein de l’Eglise.
Un rapport accablant de 33 témoignages
C’est un rapport commandé par Emmaüs qui fait l’effet d’une bombe. Pas moins de 33 témoignages, recueillis par un cabinet indépendant, mettent en cause l’Abbé Pierre, décédé en 2007. Parmi eux, 9 nouvelles accusations de violences sexuelles, dont un viol sur une fille mineure et des abus qualifiés d’incestueux.
Des faits qui auraient été commis sur une période s’étalant des années 1950 aux années 2000. Certaines victimes, mineures au moment des faits, décrivent un mode opératoire similaire. Selon une source proche de l’enquête, l’ecclésiastique aurait profité de son aura et de son statut pour agresser en toute impunité.
L’entourage de l’Abbé savait mais s’est tu
Autre révélation troublante, il semblerait que l’entourage proche de l’Abbé Pierre ait été au courant de ses penchants, sans jamais les dénoncer. Son neveu a ainsi confié à un média local que la famille connaissait sa « sexualité problématique » mais pas l’ampleur des agressions. Un silence coupable qui pose question.
L’omerta ne peut plus continuer
François Ozon, réalisateur
Pour le réalisateur François Ozon, qui a dénoncé dans son film Grâce à Dieu les agissements du père Preynat, « l’omerta ne peut plus continuer ». Il dénonce « l’hypocrisie de l’Église » et le silence des autorités ecclésiastiques sur cette affaire.
La Conférence des évêques saisit la justice
Face à l’ampleur du scandale, la Conférence des évêques de France a décidé de saisir la justice. Son président Mgr Éric de Moulins-Beaufort a écrit au procureur de la République pour lui demander d’ouvrir une enquête sur l’Abbé Pierre, afin de permettre à d’éventuelles autres victimes d’être entendues.
Une démarche saluée par les associations de victimes mais qui soulève aussi des questions. Pourquoi avoir attendu de telles révélations dans la presse pour agir? Y-a-t-il eu des alertes auparavant au sein de l’Eglise sur le comportement déviant de l’abbé? Autant de zones d’ombre qui devront être éclaircies par les investigations judiciaires.
Le difficile chemin de la reconstruction pour Emmaüs
Au sein du mouvement Emmaüs, c’est la stupeur et la colère qui dominent après ces révélations. Dans un communiqué, l’association a condamné fermement les actes de son fondateur, qualifié désormais de « prédateur ». Mais la tâche s’annonce ardue pour reconstruire la confiance et poursuivre ses missions auprès des plus démunis.
Car au delà du choc et de l’émotion légitime, c’est tout un pan de l’histoire et de l’identité d’Emmaüs qui vacille. Comment dissocier l’oeuvre collective de l’image écornée de celui qui l’a fondée? Un défi que devront relever les compagnons d’Emmaüs, déjà éprouvés par ce scandale sans précédent.
Rues, écoles, centres : la mémoire de l’Abbé Pierre en question
L’onde de choc ne se cantonne pas au milieu caritatif et religieux. Partout en France, ce sont des dizaines de lieux portant le nom de l’Abbé Pierre qui sont remis en question. Des municipalités envisagent déjà de débaptiser les rues, écoles ou centres rendant hommage au prêtre sulfureux.
Un dilemme pour les édiles locaux, tiraillés entre volonté mémorielle et devoir d’exemplarité. Faut-il pour autant faire table rase du passé et occulter l’apport indéniable de l’Abbé Pierre dans la lutte contre l’exclusion ? Le débat promet d’être animé.
La difficile recherche de la vérité pour les biographes
Le séisme touche aussi le milieu éditorial et les nombreux biographes de l’Abbé Pierre, qui disent aujourd’hui leur désarroi et leur sentiment de trahison. Comment ont-ils pu passer à côté de la face sombre de celui dont ils croyaient tout savoir?
Je n’imaginais pas l’ampleur de ses tentations
Un biographe de l’Abbé Pierre
D’après un ancien collaborateur de l’abbé interviewé par un grand quotidien national, un système bien rodé permettait de cadenasser la parole et de préserver le secret sur ses abus. Un travail de fourmi attend désormais les historiens et chercheurs pour rétablir toute la vérité sur ce personnage complexe et ambivalent.
Procès et indemnisation des victimes : les prochaines étapes
Malgré le décès de l’abbé Pierre en 2007, la recherche de la vérité judiciaire est un impératif pour les victimes. Même si les faits sont prescrits, elles espèrent que la saisine de la justice par la Conférence des évêques permettra de faire toute la lumière sur ces agressions et ces dysfonctionnements.
La question de leur indemnisation et de leur accompagnement se pose aussi avec acuité. Qui pour assumer la responsabilité de ces préjudices subis? L’Eglise, Emmaüs, l’État? Les associations réclament un fonds spécifique et des excuses publiques des institutions.
Une chose est sûre, le combat des victimes de l’Abbé Pierre ne fait que commencer. Au delà de leur quête légitime de justice et de réparation, c’est un pan longtemps occulté de notre histoire qui s’écrit. Avec en filigrane, une réflexion douloureuse mais nécessaire sur le pouvoir, le silence et l’impunité.