Imaginez le candidat favori à la présidentielle, celui qui incarne le dynamisme et la rupture, se retrouver quelques années plus tard avec deux condamnations pénales définitives sur son casier judiciaire. Ce n’est plus une fiction : c’est la réalité de Nicolas Sarkozy depuis ce mercredi 26 novembre 2025.
La décision irrévocable de la Cour de cassation
Le couperet est tombé. La plus haute juridiction française a rejeté le pourvoi formé par l’ancien président de la République. La condamnation prononcée en première instance puis confirmée en appel est désormais définitive : un an d’emprisonnement, dont six mois ferme, pour financement illégal de campagne électorale.
Ce n’est pas une surprise totale pour les observateurs, mais le caractère irréversible de la décision marque un tournant. Nicolas Sarkozy devient ainsi le premier ancien président de la Ve République à cumuler deux condamnations pénales définitives. Un symbole fort, quel que soit le camp politique.
Les faits reprochés : un dépassement colossal
Retour en 2012. La campagne présidentielle bat son plein. Meetings grandioses, déplacements incessants, mise en scène millimétrée. Tout cela a un coût. Beaucoup trop élevé.
Le plafond légal était fixé à 22,5 millions d’euros. Les dépenses réelles ont approché les 43 millions. Près du double. Pour masquer ce dérapage, un système ingénieux – et illégal – a été mis en place : des factures fictives imputées au parti plutôt qu’à la campagne du candidat.
Des conventions de prestations totalement inventées ont permis de faire passer une grande partie des frais de meetings dans les comptes de l’UMP. Le candidat, lui, pouvait ainsi afficher un budget dans les clous. Propre sur le papier, frauduleux dans les faits.
« Le candidat, le directeur de sa campagne et les deux directeurs du parti politique qui soutenait le candidat sont donc définitivement condamnés »
Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation
Une responsabilité pénale personnelle
Important : Nicolas Sarkozy n’a jamais été poursuivi pour avoir lui-même établi de fausses factures. Le reproche est plus subtil et plus lourd de conséquences : en tant que candidat bénéficiaire, il a profité d’un financement illégal qu’il ne pouvait ignorer.
Les juges ont estimé qu’il avait forcément été alerté du dépassement massif. Des alertes écrites, des mises en garde orales, des budgets explosés en cours de campagne… Impossible, selon la justice, qu’il n’ait rien su.
Il a toujours contesté avec vigueur. Parlant de « fables », de « mensonges », de « règlement de comptes ». Sa défense a multiplié les angles d’attaque : vice de procédure, absence de preuves directes, interprétation extensive du droit électoral. Rien n’y a fait.
Le saviez-vous ? C’est la première fois qu’un ancien président de la République est condamné pour financement illégal de campagne. Valéry Giscard d’Estaing avait bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire des diamants, François Mitterrand n’a jamais été poursuivi pour l’affaire Urba, Jacques Chirac avait été condamné… mais pour des emplois fictifs, pas pour sa campagne.
Que signifie concrètement cette peine ?
Un an de prison, dont six mois ferme. La formulation a son importance. Les six mois ferme sont aménageables : bracelet électronique, semi-liberté ou placement extérieur restent possibles. L’incarcération ferme pure et dure n’est pas automatique.
Nicolas Sarkozy sera convoqué prochainement par le juge d’application des peines. C’est ce magistrat qui décidera des modalités précises d’exécution. Compte tenu de son âge (70 ans), de l’absence d’antécédents pour ce type de faits et de son casier judiciaire jusqu’ici vierge pour des faits similaires, un aménagement est hautement probable.
Mais le symbole reste intact. Un ancien chef de l’État sous le coup d’une peine d’emprisonnement, même aménagée, marque les esprits.
Deuxième condamnation définitive : l’affaire des écoutes en toile de fond
Ce n’est pas la première fois. En décembre 2024, la Cour de cassation a déjà validé la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite « Bismuth » ou « des écoutes ». Trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence. Là aussi, la peine ferme a été aménagée sous bracelet électronique.
Deux affaires distinctes, deux condamnations définitives. Le casier judiciaire de l’ancien président porte désormais deux mentions lourdes. Un cas unique sous la Ve République.
Et ce n’est peut-être pas fini. Le dossier du financement libyen de la campagne de 2007 arrive en appel du 16 mars au 3 juin prochain. En première instance, cinq ans de prison avaient été prononcés. Même si l’appel peut aboutir à une relaxe, le risque judiciaire reste majeur.
La réaction de la défense : « une solution inédite »
Dans un communiqué transmis à l’AFP, les avocats de Nicolas Sarkozy ont pris acte de la décision tout en la contestant sur le fond :
« Nicolas Sarkozy prend acte du rejet de son recours comme il l’a toujours fait des décisions rendues à son encontre (…) La solution retenue contre Nicolas Sarkozy est donc une nouvelle fois inédite »
Maîtres Patrice Spinosi et Emmanuel Piwnica
Le mot « inédite » revient souvent dans les commentaires de la défense. Ils estiment que la jurisprudence créée à cette occasion est particulièrement sévère et pourrait faire école pour d’autres responsables politiques.
Un précédent dangereux pour la classe politique ?
C’est l’argument souvent avancé par les soutiens de Nicolas Sarkozy : en le condamnant personnellement pour des faits commis par son parti et son équipe de campagne, la justice franchit une ligne rouge.
Jusqu’ici, les candidats n’étaient que très rarement poursuivis personnellement pour dépassement de frais de campagne. Le système de double facturation existait, selon certains observateurs, bien avant 2012, sans que cela ne déclenche de telles poursuites.
Est-ce le signe d’une justice plus sourcilleuse ? D’une politisation de certaines enquêtes ? Ou simplement l’application stricte de textes qui existaient déjà ? Le débat est ouvert.
Et maintenant ? Les prochaines étapes
- Convocation devant le juge d’application des peines (dans les prochaines semaines)
- Décision sur l’aménagement de peine (bracelet électronique très probable)
- Procès en appel du dossier libyen (mars-juin 2026)
- Publication annoncée d’un livre sur son expérience récente de détention provisoire
Car oui, Nicolas Sarkozy a déjà goûté à la prison. Trois semaines à la Santé en novembre 2025 dans le cadre du dossier libyen, avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Il prépare un livre intitulé Le Journal d’un prisonnier, prévu un mois après sa sortie.
Une façon de transformer l’épreuve en récit, de garder la main sur la narration, de rester présent dans le débat public. Classique Sarkozy.
Que retenir de cette journée du 26 novembre 2025 ?
Un ancien président de la République définitivement condamné à de la prison ferme, même aménagée. Une page d’histoire judiciaire qui s’écrit sous nos yeux.
Bien sûr, les soutiens crient à l’acharnement. Les opposants y voient la preuve que personne n’est au-dessus des lois. La vérité, comme souvent, se situe probablement entre les deux.
Mais une chose est sûre : treize ans après la campagne de 2012, l’affaire Bygmalion continue de produire ses effets. Et elle n’a peut-être pas fini de marquer la vie politique française.
À suivre.









