Anxiété, dépression, bipolarité… Les troubles psychiques ne sont plus tabous. La santé mentale est enfin reconnue comme un enjeu majeur de société. Mais cette libération de la parole, on la doit en grande partie à la culture populaire. Films, séries, musique, célébrités : tous jouent un rôle clé dans la déstigmatisation des maladies mentales.
Quand la fiction se fait miroir de la réalité
Fini le temps des représentations anxiogènes, façon « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Aujourd’hui, les œuvres de fiction qui abordent la santé mentale se veulent plus réalistes, plus nuancées. Elles mettent en scène des personnages complexes, loin des stéréotypes habituels du « fou dangereux » ou du « génie torturé ».
Prenez la série « En thérapie » sur Arte. En suivant les séances d’un psychanalyste et de ses patients, elle nous plonge avec justesse dans l’intimité de personnes en souffrance. Un succès public qui prouve notre soif de représentations authentiques.
Le 7ème art, vecteur d’empathie
Le cinéma n’est pas en reste. Des films comme « Happiness Therapy » ou « Tout le monde debout » abordent avec sensibilité des thèmes comme la dépression ou le handicap. Loin du pathos, ils suscitent l’empathie du spectateur. Comme l’explique le psychiatre Raphaël Gaillard :
La fiction nous permet de nous identifier, de laisser de côté la peur et de reconnaître une partie de nous-même.
Ainsi, le 7ème art devient un formidable vecteur de compréhension et de tolérance envers les troubles psychiques. Il nous invite à changer notre regard.
Célébrités porte-parole
Autre levier de déstigmatisation : la prise de parole des célébrités. De plus en plus de stars osent évoquer leurs propres troubles mentaux. Selena Gomez avec la bipolarité, Lady Gaga avec le stress post-traumatique, Adèle avec la dépression post-partum…
Quand des idoles planétaires se mettent à nu, l’impact est immense. Leur notoriété permet de toucher un public très large. Et leur témoignage aide à briser le silence et la honte qui entourent encore trop souvent la maladie mentale.
On n’attend pas de Selena Gomez qu’elle nous explique la bipolarité en termes médicaux, mais sa visibilité permet d’en parler de façon accessible.
Dr Jean-Victor Blanc, psychiatre
Changer les représentations pour faire évoluer les mentalités
Bien sûr, la culture populaire ne peut pas tout. Les troubles psychiques restent entourés de nombreux préjugés. Beaucoup de patients doivent encore « prouver » qu’ils sont vraiment malades et ont besoin d’un traitement. Impensable pour d’autres pathologies !
Cela s’explique par la persistance d’une vision dualiste, qui sépare le corps et l’esprit. Comme si ce dernier pouvait dominer la maladie par la seule volonté… Une idée tenace, que la fiction peut justement aider à déconstruire en montrant la complexité des troubles mentaux.
En partant de situations réelles, le cinéma permet de façonner de nouvelles manières de penser la santé mentale.
Éric Toledano, réalisateur
Son film « Hors normes » sur l’autisme a ainsi suscité des vocations d’éducateurs. Preuve que les représentations dans la culture populaire ont un impact concret sur nos perceptions et nos comportements.
Une prise de conscience collective
Au-delà de la sphère culturelle, la libération de la parole sur la santé mentale est le reflet d’une prise de conscience plus large. Celle d’un enjeu de société majeur, qui nous concerne tous de près ou de loin. D’après Raphaël Gaillard :
La santé mentale est aujourd’hui reconnue comme le risque systémique de nos sociétés.
Une réalité que la crise du Covid a rendu encore plus criante, avec l’explosion des troubles anxieux et dépressifs. Dans ce contexte, le rôle de déstigmatisation de la culture populaire apparaît plus crucial que jamais.
Mais il ne pourra porter ses fruits que s’il s’accompagne d’une véritable politique de santé publique. Car pour l’instant, la psychiatrie manque toujours cruellement de moyens et de considération. En 2024, 13% des postes d’internes sont restés vacants dans cette spécialité…
Le chemin est encore long pour en finir avec la stigmatisation des troubles psychiques. Mais la culture peut y contribuer en continuant d’ouvrir les esprits. Comme le résume avec humour le Dr Jean-Victor Blanc :
On aimerait un « Jurassic Psy Park » qui donne envie d’aller travailler en psychiatrie !
Alors, à quand un blockbuster sur le cerveau, qui suscitera autant de vocations que Jurassic Park pour les dinosaures ? La culture populaire a ce pouvoir : faire rêver, tout en ouvrant les consciences sur des sujets essentiels comme la santé mentale. Un défi aussi excitant que nécessaire.