SantéSociété

San Francisco Attaque les Géants de la Malbouffe en Justice

San Francisco vient de déclencher une bombe judiciaire : la ville attaque Coca-Cola, Nestlé, Mars et d’autres géants accusés d’avoir sciemment rendu les Américains malades avec des aliments ultratransformés. Une procédure qui rappelle les grands procès contre le tabac… Mais jusqu’où ira-t-elle vraiment ?

Imaginez-vous dans un supermarché américain classique. Plus de sept produits sur dix que vous touchez sont conçus en laboratoire pour être irrésistibles, parfois addictifs, et pourtant dangereux pour votre santé à long terme. Ce n’est plus une simple habitude de consommation : c’est devenu, selon la ville солнце de San Francisco, une véritable crise de santé publique orchestrée par quelques multinationales. Et mardi dernier, la ville californienne a décidé de passer à l’attaque.

San Francisco déclare la guerre aux aliments ultratransformés

Pour la première fois aux États-Unis, une grande ville vient de déposer une plainte contre une dizaine de géants de l’agroalimentaire. L’accusation est lourde : avoir créé et entretenu une dépendance alimentaire qui pèse aujourd’hui des milliards de dollars sur les finances publiques et, surtout, sur la santé de millions d’habitants.

Le procureur de San Francisco, David Chiu, n’y va pas par quatre chemins. Il parle d’une crise de santé publique délibérément provoquée par des entreprises qui ont priorisé leurs profits au détriment de la vie de leurs clients.

« Ces entreprises ont créé une crise de santé publique avec la conception et la commercialisation des aliments ultratransformés. Elles en ont tiré d’énormes profits, et maintenant elles doivent assumer la responsabilité des dommages qu’elles ont causés. »

David Chiu, procureur de San Francisco

Qui sont les entreprises visées ?

La liste des mis en cause ressemble à un bottin des rayons de supermarché :

  • Kraft Heinz Company
  • Mondelez International
  • Post Holdings
  • The Coca-Cola Company
  • PepsiCo
  • General Mills
  • Nestlé USA
  • Kellogg
  • Mars Incorporated
  • ConAgra Brands

Autrement dit : les rois du soda, des céréales sucrées, des chips, des plats préparés et des barres chocolatées. Des marques que l’on retrouve dans les cuisines du monde entier.

Qu’est-ce qu’un aliment ultratransformé, exactement ?

Le terme peut sembler flou, mais il désigne des produits qui vont bien au-delà de la simple transformation. Ce sont des aliments reconstruits à partir d’ingrédients isolés (amidons, sucres, huiles hydrogénées, protéines extraites) et bourrés d’additifs : colorants, émulsifiants, exhausteurs de goût, édulcorants artificiels…

L’objectif ? Rendre le produit hyper-appétissant, parfois difficile à arrêter de consommer, tout en réduant les coûts de production au maximum. Résultat : un aliment qui n’a souvent plus grand-chose à voir avec les ingrédients bruts dont il est censé provenir.

Des chiffres qui donnent le vertige

Aux États-Unis, les aliments ultratransformés représentent déjà plus de 70 % des produits proposés en supermarché et constituent plus de la moitié des calories ingérées quotidiennement par la population moyenne.

Conséquences directes :

  1. Près de 40 % des Américains sont obèses – l’un des taux les plus élevés au monde.
  2. Environ 16 % souffrent de diabète.
  3. Explosion des maladies cardiovasculaires, de certains cancers et autres pathologies chroniques.

Pour San Francisco, ce n’est pas une fatalité : c’est le résultat d’une stratégie industrielle planifiée sur des décennies.

Une stratégie marketing comparée… à celle du tabac

La plainte n’hésite pas à faire le parallèle avec l’industrie du tabac. Même techniques de marketing agressif, même ciblage des enfants avec des couleurs vives et des personnages sympathiques, même minimisation des risques connus en interne, même lobbying acharné pour retarder toute réglementation.

La ville accuse ces entreprises d’avoir sciemment privé les consommateurs d’un choix éclairé. Elles savaient que leurs produits rendaient malades, mais ont tout fait pour que le public l’ignore.

Une histoire qui ne date pas d’hier

Les premiers aliments ultratransformés apparaissent à la fin du XIXe siècle, mais c’est pendant les deux guerres mondiales que la production de masse explose pour nourrir les soldats. Après 1945, ces technologies envahissent les rayons civils et transforment profondément nos habitudes alimentaires.

Ce qui était au départ une solution pratique est devenu, au fil des décennies, un modèle économique dominant. Et extrêmement rentable.

Un rare consensus politique américain

Fait remarquable : la nocivité des aliments ultratransformés fait aujourd’hui l’objet d’un consensus politique rare aux États-Unis. Même Robert Kennedy Jr., nommé ministre de la Santé par Donald Trump malgré ses positions controversées sur les vaccins, en a fait une priorité absolue.

Sous sa pression, plusieurs grands fabricants de glaces se sont déjà engagés à abandonner les colorants de synthèse d’ici 2028. Un premier pas, mais qui reste largement symbolique face à l’ampleur du problème.

La défense des industriels

De leur côté, les entreprises ne comptent pas se laisser faire. La Consumer Brands Association, qui représente plusieurs géants mis en cause, rejette les accusations et pointe du doigt l’absence de définition scientifique unanimement acceptée du terme « ultratransformé ».

« Tenter de classer les aliments comme malsains simplement parce qu’ils sont transformés, ou diaboliser les aliments en ignorant leur contenu nutritionnel complet, induit les consommateurs en erreur et exacerbe les disparités en matière de santé. »

Sarah Gallo, responsable de la Consumer Brands Association

Ils mettent en avant leurs efforts récents : plus de protéines, plus de fibres, moins de sucre, suppression progressive de certains additifs. Des améliorations bien réelles… mais qui concernent souvent une minorité de références face à des catalogues encore très largement dominés par les produits incriminés.

Que demande concrètement San Francisco ?

La ville réclame des dommages et intérêts dont le montant reste pour l’instant indéterminé. L’argent servirait à couvrir les coûts de santé publique engendrés par l’explosion des maladies liées à l’alimentation.

Mais au-delà de l’aspect financier, cette procédure a surtout valeur de précédent. Si San Francisco obtient gain de cause, d’autres villes, États, voire le gouvernement fédéral pourraient suivre.

Et nous, en Europe et en France ?

Même si la plainte concerne le marché américain, les produits visés sont exactement les mêmes que ceux que l’on trouve dans nos supermarchés français. La classification Nova, développée par des chercheurs brésiliens et largement adoptée en Europe, place d’ailleurs ces aliments dans la catégorie 4 : les plus transformés.

En France, des associations et certains politiques appellent déjà à une taxation plus forte, à un étiquetage plus clair, voire à des restrictions publicitaires visant les enfants. Cette action américaine pourrait donner un sérieux coup d’accélérateur au débat.

Car le problème est universel : dès qu’un produit ultratransformé est moins cher, plus pratique et savoureux qu’une alimentation brute, il finit par dominer les rayons… et les assiettes.

Vers un big tobacco moment pour l’agroalimentaire ?

Dans les années 1990, personne n’imaginait que l’industrie du tabac finirait par payer des centaines de milliards de dollars de dédommagements. Pourtant c’est arrivé.

Aujourd’hui, certains experts estiment que nous vivons le même tournant avec les aliments ultratransformés. Les preuves scientifiques s’accumulent, la colère publique monte, et des institutions commencent à bouger.

La procédure lancée par San Francisco n’est peut-être que le début d’une vague beaucoup plus large. Et cette fois, ce n’est pas une habitude que l’on peut arrêter du jour au lendemain : c’est tout notre environnement alimentaire qui est en jeu.

Restera à voir si les tribunaux donneront raison à la ville californienne. Une chose est sûre : le débat sur ce que nous mettons dans notre assiette ne fait que commencer.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.