Dans une annonce fracassante, le syndicat représentant des dizaines de milliers d’employés de Samsung Electronics en Corée du Sud a déclaré mercredi la prolongation « illimitée » d’une grève de trois jours. Objectif : contraindre la direction à revenir à la table des négociations, alors que le dialogue est au point mort depuis des mois sur les questions salariales et les avantages sociaux.
Samsung, mastodonte mondial paralysé
Leader incontesté de l’électronique grand public, Samsung est l’un des plus grands fabricants mondiaux de smartphones et un des rares producteurs de puces mémoire haute performance, utilisées notamment pour l’intelligence artificielle. La mise à l’arrêt de ses chaînes de production en Corée du Sud risque donc d’avoir un impact significatif sur le marché mondial, déjà sous tension.
Lundi, plus de 5 000 salariés ont cessé le travail pour entamer un mouvement initialement prévu pour trois jours. Mais devant le refus de la direction d’entamer des discussions, le syndicat a décidé de durcir le ton. “Nous déclarons une deuxième grève générale illimitée à partir du 10 juillet“, a-t-il martelé dans un communiqué.
Un syndicat puissant et déterminé
Comptant plus de 30 000 adhérents, soit plus d’un cinquième des effectifs de Samsung Electronics, le syndicat national se veut le porte-voix d’une masse salariale longtemps restée sans représentation. Samsung a en effet empêché pendant des décennies la syndicalisation, parfois par des méthodes musclées selon ses détracteurs.
Mais les temps ont changé. Fort de ses troupes, le syndicat se dit prêt à tenir sur la durée. “Plus la grève durera, plus la direction souffrira et finira par s’agenouiller et s’asseoir à la table des négociations. Nous sommes confiants dans la victoire“, affirme-t-il sans détour.
Revendications salariales et transparence
Au cœur des revendications : les salaires, les congés et les primes. Les employés ont rejeté une offre d’augmentation de 5,1%, jugée insuffisante. Ils réclament aussi plus de transparence sur les bonus basés sur la performance, et une amélioration des droits aux congés.
Pour l’heure, les négociations entamées en janvier sont dans l’impasse. Le syndicat accuse la direction de faire “obstruction” et de ne pas sembler disposée à dialoguer. “Votre détermination est nécessaire pour faire avancer nos objectifs et notre victoire. Unissons nos forces pour protéger nos droits et créer un avenir meilleur“, a-t-il lancé aux salariés.
Un impact encore incertain
Si Samsung affirme que sa production n’a pas été perturbée pour l’instant, le syndicat assure de son côté que l’impact est déjà “considérable“. Difficile de savoir qui dit vrai à ce stade. Mais une chose est sûre : plus le conflit durera, plus les conséquences risquent de se faire sentir, dans un contexte déjà tendu pour l’industrie des semi-conducteurs.
Car les puces sont aujourd’hui au cœur de l’économie mondiale. Elles équipent tous les objets du quotidien, des smartphones aux voitures en passant par l’électroménager. Et avec l’essor de l’IA, la demande explose pour les composants les plus performants, dont Samsung est un fournisseur clé.
Les semi-conducteurs sont le principal produit d’exportation de la Corée du Sud. En mars, ils ont rapporté au pays 11,7 milliards de dollars, soit un cinquième des exportations totales.
Dans ce contexte, un blocage durable chez Samsung pourrait avoir des répercussions en cascade. Déjà confrontés à une pénurie chronique, les fabricants de produits électroniques du monde entier scrutent la situation avec inquiétude. Car c’est toute la chaîne d’approvisionnement qui pourrait être perturbée si le leader mondial venait à ralentir sa production.
Bras de fer social et économique
Au-delà des enjeux industriels, c’est aussi un bras de fer social et économique qui se joue en Corée du Sud. Dans ce pays où les “chaebols”, ces conglomérats familiaux tentaculaires, règnent en maîtres, le développement du syndicalisme est un phénomène relativement récent et encore fragile.
En s’attaquant à un mastodonte comme Samsung, qui pèse à lui seul un quart du PIB national, les salariés lancent un défi de taille au patronat. L’issue de ce conflit, qui cristallise les tensions sociales dans un contexte d’inflation et de ralentissement économique, sera donc scrutée de près bien au-delà des frontières de la Corée.
Car au-delà du sort des employés de Samsung, c’est peut-être un nouveau modèle social qui est en train de s’écrire. Un modèle où les travailleurs, longtemps dociles et invisibles, réclament leur part des bénéfices et des décisions dans ces empires industriels qui ont fait la fortune et la fierté de la Corée, mais qui semblent aujourd’hui vaciller face aux aspirations d’une nouvelle génération. Le combat ne fait sans doute que commencer.