Imaginez des milliers d’armes circulant hors de tout contrôle dans un pays en guerre depuis bientôt trois ans. Des fusils d’assaut, des grenades, des missiles capables d’abattre un avion de ligne… Cette image hante les chancelleries occidentales depuis le premier envoi massif d’armement à Kiev. Et pourtant, un rapport détaillé vient de tomber : oui, les saisies explosent, mais non, il n’y a pas de marché noir géant alimenté par les livraisons de l’OTAN.
Une hausse spectaculaire qui interpelle
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et ils sont impressionnants. Entre la période calme de 2019-2021 et les trois premières années du conflit à grande échelle (2022-2024), les saisies d’armes à feu ont augmenté de plus de 60 %. Quand on regarde les explosifs et les lance-grenades, c’est encore pire : les quantités confisquées ont parfois plus que doublé.
Derrière ces pourcentages, il y a des armes bien concrètes : pistolets-mitrailleurs, fusils automatiques, mais aussi plus de 10 000 grenades récupérées rien que sur ces dernières années. Des objets qui, dans les mains de criminels, peuvent transformer n’importe quelle ville en zone de non-droit.
Que disent exactement les statistiques ?
Pour être précis, les autorités ukrainiennes ont mis la main sur :
- Des armes de poing et d’épaule en quantité nettement supérieure aux années précédentes
- Des fusils mitrailleurs légers qui pullulaient déjà avant 2022 mais qui se retrouvent encore plus souvent sur le marché noir
- Un bond de 155 % pour les seules grenades à main
- Des lance-roquettes et des mines en nombre inquiétant
Ces armes ne sortent pas toutes des caisses neuves livrées par les pays alliés. Une grande partie provient d’anciens stocks, de caches oubliées ou tout simplement du chaos des combats.
Les efforts ukrainiens salués… mais insuffisants ?
Le rapport insiste sur un point rarement mis en avant : les forces de l’ordre ukrainiennes travaillent dur. Malgré la guerre sur presque tout le territoire, elles multiplient les opérations de contrôle et de récupération. Chaque arme saisie représente des heures de travail dans un contexte où les priorités militaires pourraient tout absorber.
« Ces données reflètent non seulement l’évolution des stocks illicites, mais aussi les efforts concertés des autorités pour retirer ces articles dangereux de la circulation. »
Cette phrase résume bien la situation : on saisit plus parce qu’il y a plus d’armes… mais aussi parce qu’on cherche plus activement.
Le fantasme du grand détournement occidental
Dès l’été 2022, certains responsables sécuritaires prédisaient le pire. On imaginait déjà des Javelin ou des Stinger revendus sur le darknet, alimentant des groupes terroristes en Europe ou ailleurs. La propagande russe, elle, n’a cessé d’agiter ce spectre pour semer le doute sur l’aide militaire.
Or les faits sont têtus. Après avoir épluché des milliers de dossiers, les experts concluent à l’absence de preuves d’un détournement systématique et à grande échelle des armes légères fournies par l’Occident.
Oui, des armes occidentales circulent dans tout le pays. Mais elles restent majoritairement entre les mains des forces régulières ou des unités de défense territoriale. Les rares pièces retrouvées dans des perquisitions criminelles sont l’exception, pas la règle.
L’exception qui confirme la règle : un seul NLAW
Parmi les missiles portatifs les plus sensibles – ceux qui font vraiment peur aux experts antiterroristes –, plus d’une vingtaine ont été saisis ces dernières années. Des Manpads capables d’abattre un avion civil, des systèmes antichars dernier cri… Et sur ces vingt et quelques pièces, une seule provenait clairement d’une livraison occidentale : un missile NLAW britannique récupéré en juillet 2024.
Un seul. Sur des dizaines de milliers d’unités livrées. Le chiffre donne le vertige quand on pense aux scénarios catastrophes régulièrement évoqués.
D’où viennent vraiment les armes qui inondent le marché noir ?
La réponse est presque trop évidente pour être agréable à entendre : une large partie provient des forces russes elles-mêmes.
Il y a d’abord les caches préparées avant 2022 pour des opérations clandestines dans l’Est du pays. Il y a ensuite les armes distribuées aux collaborateurs locaux dans les territoires occupés. Et surtout, il y a tout ce qui est abandonné lors des retraits précipités ou des défaites sur le terrain.
Un fusil AK-74, une caisse de grenades RGD-5, un lance-roquettes RPG-7 laissé derrière… Multipliez cela par des centaines de kilomètres de front et vous obtenez une source intarissable d’armement illicite.
Les missiles portatifs, la vraie menace fantôme
Si un type d’arme concentre toutes les inquiétudes, ce sont bien les systèmes portatifs anti-aériens et antichars. Leur petite taille, leur puissance de feu et leur facilité de transport en font des candidats idéaux pour des attentats spectaculaires.
Les autorités ukrainiennes le savent et ont mis en place des contrôles renforcés. Chaque unité fait l’objet d’un suivi particulier, surtout depuis que le souvenir des attentats utilisant des Manpads dans les années 2000 reste vif.
Le saviez-vous ? Un seul missile sol-air portatif peut détruire un Airbus A320 à l’atterrissage. C’est pourquoi les aéroports du monde entier surveillent cette menace avec une attention extrême.
Un réseau démantelé à Lviv : alerte ou épiphénomène ?
En septembre 2024, un coup de filet près de la frontière polonaise a fait parler de lui. Un groupe tentait d’écouler des armes de guerre vers l’Union européenne. L’affaire a immédiatement été brandie comme la preuve que le pire était en marche.
Mais les experts restent prudents. Un réseau démantelé, même près d’une frontière, ne fait pas une tendance. Surtout quand, dans le même temps, des milliers d’autres opérations aboutissent sans qu’on en parle.
Que faut-il retenir pour les années à venir ?
Le rapport conclut sur une note à la fois rassurante et inquiétante. Rassurante car le grand détournement fantasmé n’a pas lieu. Inquiétante parce que des dizaines de milliers d’armes restent encore dans la nature, souvent d’origine soviétique ou russe, et que le conflit continue d’en produire chaque jour.
Le travail de récupération et de déminage devra continuer bien après la fin des combats. Car une arme enterrée aujourd’hui peut resurgir dans dix ou vingt ans entre de mauvaises mains.
En attendant, la réalité est plus nuancée que les titres alarmistes : l’Ukraine parvient, malgré tout, à garder un contrôle relatif sur l’essentiel de l’arsenal qui lui a été confié. Une performance que peu de pays en guerre totale auraient réussi à tenir aussi longtemps.
La guerre change beaucoup de choses. Elle n’a pas encore transformé l’Ukraine en supermarché de la mort que certains prédisaient. Mais la vigilance reste plus que jamais de mise.









