Imaginez que l’on vous promette 15 % de rendement par mois sur vos cryptos, que l’on vous montre un tableau de bord ultra-professionnel où votre solde grimpe en temps réel… et qu’en réalité, chaque clic vous rapproche un peu plus de la ruine totale. C’est exactement ce qui arrivait aux victimes de tickmilleas.com, un site frauduleux que les autorités américaines viennent de saisir définitivement.
Derrière cette façade se cachait une réalité bien plus sombre : un compound de scam en Birmanie où des milliers de personnes, souvent victimes de trafic humain, étaient forcées de jouer les faux conseillers financiers pour dépouiller des investisseurs du monde entier.
Une opération coup de poing du Department of Justice
Le 2 décembre 2025, le ministère américain de la Justice a annoncé la saisie du domaine tickmilleas.com. Le site est désormais remplacé par l’avertissement classique des autorités fédérales : « This domain has been seized ».
Mais cette saisie n’est pas isolée. Quelques jours plus tôt, deux autres domaines liés au même réseau avaient déjà été neutralisés. L’opération s’inscrit dans la stratégie plus large du Scam Center Strike Force, une unité spéciale créée pour démanteler les centres d’arnaques d’Asie du Sud-Est.
Le compound Tai Chang, une prison high-tech
Le site était opéré depuis le complexe Tai Chang (aussi appelé Casino Kosai) situé à Kyaukhat, dans l’est de la Birmanie. Ce n’est pas un simple bureau : c’est un véritable camp fortifié où des travailleurs, souvent enlevés en Chine, en Inde ou au Vietnam, sont réduits à l’état d’esclaves modernes.
Armés de scripts bien rodés, ces prisonniers contactent leurs cibles via WhatsApp, WeChat ou Telegram. Ils se font passer pour de belles jeunes femmes (ou hommes) fortunés, construisent une relation de confiance pendant des semaines, puis orientent la conversation vers « leur » plateforme d’investissement miracle. Résultat : des victimes qui transfèrent parfois des centaines de milliers d’euros en quelques jours.
« Le domaine reproduisait à la perfection l’apparence d’une vraie plateforme de trading, avec des graphiques en temps réel, des faux dépôts et même des retraits limités pour maintenir l’illusion. »
Affidavit du FBI déposé au tribunal
Des liens avec des entités sanctionnées
Le compound Tai Chang n’est pas un acteur isolé. Il est directement lié à deux entités récemment placées sur la liste des Specially Designated Nationals par les États-Unis :
- La Democratic Karen Benevolent Army (DKBA), une milice armée qui contrôle la zone frontalière
- Le Trans Asia International Holding Group, accusé de financer la construction de dizaines de centres d’arnaques
Ces deux structures sont soupçonnées d’être pilotées par des réseaux criminels chinois installés dans les zones grises de l’Asie du Sud-Est, là où l’État central a perdu tout contrôle.
Plus de 2 000 comptes Meta supprimés
L’enquête du FBI a permis d’identifier plus de 2 000 comptes Facebook et Instagram utilisés pour attirer les victimes. Meta les a tous fermés après notification des autorités.
Parallèlement, plusieurs applications mobiles malveillantes présentes sur le Google Play Store et l’App Store ont été retirées. Ces apps permettaient aux escrocs de prendre le contrôle à distance du téléphone de la victime pour valider eux-mêmes les transferts crypto.
Le schéma classique du pig butchering 2.0
Le mode opératoire est désormais bien connu mais toujours aussi efficace :
- Contact initial via une erreur de message (« oups, je me suis trompé de numéro »)
- Construction d’une relation amicale ou amoureuse pendant plusieurs semaines
- Introduction du sujet « investissement crypto » par le faux correspondant
- Orientation vers une plateforme contrôlée par les escrocs
- Petits retraits autorisés pour renforcer la confiance
- Gros dépôts suivis du blocage total du compte
La différence avec les anciennes arnaques ? L’industrialisation totale. Un seul compound peut employer plusieurs milliers de « travailleurs » qui tournent 7 jours sur 7, avec des objectifs chiffrés et des punitions physiques en cas d’échec.
L’Asie du Sud-Est, plaque tournante mondiale des cyberscams
La Birmanie n’est pas un cas isolé. Le Cambodge, le Laos et certaines zones des Philippines concentrent des dizaines de compounds similaires. Le phénomène a explosé après le coup d’État de 2021 en Birmanie, qui a laissé des zones entières sous contrôle de milices et de triades chinoises.
Parmi les plus connus :
| Compound | Localisation | Chiffre d’affaires estimé |
| KK Park | Myawaddy (Birmanie) | Près de 100 millions $ en 2023 |
| Golden Triangle SEZ | Laos | Des milliards annuels |
| Prince Group compounds | Sihanoukville (Cambodge) | Plus de 14 milliards $ saisis en octobre 2025 |
| Tai Chang / Casino Kosai | Kyaukhat (Birmanie) | Des dizaines de millions |
Ces zones bénéficient d’une impunité quasi-totale : corruption, conflits armés et absence d’extradition permettent aux barons du scam d’opérer en toute tranquillité.
Comment se protéger concrètement ?
Face à ces menaces de plus en plus sophistiquées, voici les réflexes à adopter :
- Ne jamais cliquer sur un lien reçu d’un inconnu, même si la personne semble « réelle » après des semaines d’échange
- Vérifier l’URL exacte de toute plateforme d’investissement (les faux sites utilisent souvent des domaines très proches des vrais)
- Refuser systématiquement de télécharger une application « maison » proposée par un conseiller
- Activer l’authentification à deux facteurs partout, surtout sur les exchanges
- En cas de doute, contacter directement le support officiel de la plateforme via son site officiel
Et surtout : si on vous promet des rendements garantis et élevés en crypto, c’est une arnaque à 99,9 %.
Vers une coopération internationale renforcée ?
Les saisies récentes montrent que les États-Unis passent à la vitesse supérieure. Mais démanteler un compound physiquement reste extrêmement complexe : ils sont souvent situés en zone de guerre ou sous protection de milices armées.
La solution passe probablement par une coopération accrue avec la Chine (principale source des victimes parmi les travailleurs forcés) et les pays de l’ASEAN. Des discussions sont en cours, mais les intérêts économiques et géopolitiques freinent encore les progrès.
En attendant, chaque saisie de domaine, chaque fermeture de compte représente une petite victoire. Mais le combat est loin d’être terminé : pour un site fermé, dix nouveaux apparaissent chaque mois.
L’histoire de tickmilleas.com nous rappelle une vérité brutale : derrière les promesses de gains faciles en cryptomonnaie se cache parfois un enfer bien réel, fait de barbelés, de passeports confisqués et de vies brisées. La prochaine victime pourrait être n’importe qui… même vous.









