Imaginez-vous au volant, traversant une route poussiéreuse sous un soleil brûlant, où chaque virage pourrait être le dernier. Au Sahel, cette réalité n’est pas une fiction, mais le quotidien de milliers de personnes. Les routes, vitales pour le commerce et les déplacements, sont devenues des pièges mortels, minées par les violences jihadistes. Des embuscades aux mines artisanales, le danger est omniprésent, transformant chaque trajet en une épreuve de survie.
Le Sahel : un carrefour de dangers
Le Sahel, cette vaste région qui s’étend à travers le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est aujourd’hui l’épicentre mondial du terrorisme, selon le dernier Index mondial du terrorisme. Les routes, autrefois artères de vie reliant villages et marchés, sont devenues des cibles privilégiées pour les groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique. Ces groupes utilisent les axes routiers pour tendre des embuscades, poser des mines ou imposer des blocus, rendant chaque déplacement risqué.
Une étude récente de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) révèle une statistique alarmante : environ 70 % des incidents violents et 65 % des décès en Afrique de l’Ouest et du Nord se produisent à moins d’un kilomètre d’une route. Ces chiffres soulignent la vulnérabilité des infrastructures routières, en particulier dans le Sahel central, où les populations jouent leur vie à chaque trajet.
La Nationale 15 : la route du poisson, devenue route de la peur
Parmi les routes les plus redoutées, la Nationale 15 au Mali, surnommée la route du poisson en raison de son rôle dans le transport de poisson vers le Burkina Faso, est emblématique. Reliant Sévaré à la frontière burkinabè à travers le Pays dogon, cet axe est devenu un symbole de danger. Les mines artisanales, souvent indétectables, explosent au passage des véhicules civils et militaires, tandis que les embuscades tendues par des jihadistes armés sèment la terreur.
Ils nous ont arrêtés, mais au vu du corps de ma mère, ils nous ont dit de continuer.
Moussa, témoin d’un enlèvement sur la Nationale 15
Moussa, dont le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité, raconte une expérience glaçante. Lors d’un trajet pour ramener le corps de sa mère au village, il a été témoin d’une attaque : des jihadistes à moto, armés et enturbannés, enlevaient des passagers d’un bus. Par chance, il a été épargné, mais cet incident illustre la menace constante qui plane sur cette route.
La Nationale 16 : l’axe le plus meurtrier
Si la Nationale 15 est dangereuse, la Nationale 16, reliant Mopti à Gao au Mali, détient le triste record de l’axe le plus meurtrier du Sahel central. Selon Olivier Walther, professeur associé à l’Université de Floride, cet axe a enregistré 433 incidents violents depuis 2012. Les convois militaires, cibles privilégiées, sont régulièrement attaqués, tandis que les civafety: bold »>blocus imposés par les groupes jihadistes isolent des villes entières, privant les populations de ressources vitales.
Les jihadistes exploitent la rareté et le mauvais état des routes pour tendre des pièges. Les armées sahéliennes, contraintes de circuler en convois lourds, peinent à rivaliser avec la mobilité des assaillants, qui utilisent des motos rapides et légères. Cette asymétrie tactique renforce le contrôle des groupes armés sur les zones rurales, où les populations sont laissées à leur sort.
Burkina Faso : l’axe de la mort
Au Burkina Faso, la situation n’est pas moins dramatique. La Nationale 22, reliant Bourzanga à Djibo puis à Ouagadougou, est surnommée l’axe de la mort. Les attaques jihadistes y sont fréquentes, visant aussi bien les convois militaires que les camions de ravitaillement. En septembre 2022, une attaque particulièrement violente a vu plus de 200 camions incendiés, 11 soldats et supplétifs tués, et de nombreux civils portés disparus.
J’ai vu des corps encore frais, en putréfaction, des véhicules abandonnés, des cratères de mines sur la voie.
Abdoul Fhatave Tiemtoré, journaliste burkinabè
Abdoul Fhatave Tiemtoré, rédacteur en chef d’une radio burkinabè, a décrit un voyage sur cet axe comme une descente dans l’horreur. Les images de corps abandonnés et de véhicules calcinés restent gravées dans les mémoires, amplifiant le sentiment d’insécurité qui paralyse les habitants.
Niger : des corridors à hauts risques
Au Niger, les routes menant au Burkina Faso, notamment dans le sud-ouest, sont devenues quasi impraticables. Les 600 km de frontière entre Niamey et Ouagadougou sont un terrain miné, littéralement et figurativement. Les chauffeurs, particulièrement vulnérables, paient un lourd tribut. Depuis 2015, l’Association nationale des exploitants de bois du Niger déplore la mort de 24 chauffeurs et la destruction de 52 camions.
Zakaria Seyni, un chauffeur nigérien opérant dans la zone des trois frontières, raconte la peur constante qui accompagne chaque trajet. Les jihadistes, souvent affiliés à l’État islamique, interdisent l’accès aux foires locales et séquestrent des chauffeurs pendant des jours. Cette zone, située aux confins du Niger, du Burkina Faso et du Mali, est l’une des plus instables de la région.
Les chauffeurs du Sahel ne transportent pas seulement des marchandises, mais aussi le poids de la peur. Chaque trajet est un acte de courage face à une menace invisible.
Pourquoi les routes sont-elles si vulnérables ?
Plusieurs facteurs expliquent la dangerosité des routes sahéliennes. Premièrement, leur mauvais état limite la mobilité des forces de sécurité, qui doivent se déplacer en convois lents et prévisibles. Deuxièmement, la rareté des infrastructures oblige les populations et les armées à emprunter les mêmes axes, facilitant les embuscades. Enfin, la mobilité des jihadistes, souvent à moto, leur confère un avantage tactique indéniable.
Olivier Walther propose une solution audacieuse : repenser la mobilité des armées sahéliennes. En adoptant des véhicules légers, comme des motos, les forces de sécurité pourraient mieux contrer les tactiques des jihadistes. Cependant, cette approche nécessite des investissements conséquents et une coordination régionale, deux défis majeurs dans une région en crise.
Les conséquences humaines et économiques
Les violences routières ont des répercussions profondes. Les blocus imposés par les jihadistes, comme à Djibo, privent les villes de denrées essentielles, entraînant des pénuries alimentaires et des hausses de prix. Les populations rurales, isolées, se retrouvent à la merci des groupes armés. Les chauffeurs, quant à eux, risquent leur vie pour assurer le ravitaillement, mais beaucoup y laissent la vie.
Les impacts économiques sont tout aussi dévastateurs. Les routes, vitales pour le commerce régional, sont paralysées. Le transport de marchandises, comme le poisson sur la Nationale 15, devient un défi logistique. Les entreprises locales, déjà fragiles, peinent à maintenir leurs activités face à l’insécurité croissante.
Pays | Route | Incidents marquants |
---|---|---|
Mali | Nationale 16 | 433 incidents depuis 2012 |
Burkina Faso | Nationale 22 | 200 camions incendiés en 2022 |
Niger | Corridors sud-ouest | 24 chauffeurs tués depuis 2015 |
Vers des solutions durables ?
Face à cette crise, des solutions émergent, mais leur mise en œuvre reste complexe. L’OCDE insiste sur l’importance de combiner sécurité et développement des infrastructures. Améliorer l’état des routes, renforcer la coopération transfrontalière et investir dans l’intégration économique pourraient réduire la vulnérabilité des populations. Cependant, ces projets nécessitent des financements massifs et une volonté politique forte.
Une autre piste réside dans l’adaptation des stratégies militaires. En s’inspirant de la mobilité des jihadistes, les armées sahéliennes pourraient gagner en efficacité. Mais sans une approche globale, incluant le développement économique et social, les routes du Sahel resteront des pièges mortels.
Un quotidien marqué par la résilience
Malgré les dangers, les habitants du Sahel continuent de prendre la route, par nécessité ou par défi. Les chauffeurs, comme Zakaria Seyni, bravent les interdictions pour approvisionner les marchés. Les familles, comme celle de Moussa, risquent tout pour honorer leurs proches. Cette résilience, bien que forcée, témoigne d’une volonté de vivre malgré l’adversité.
Le Sahel est à un tournant. Les routes, autrefois synonymes de connexion et d’échange, sont devenues des symboles de peur. Mais elles pourraient aussi redevenir des artères de vie, à condition que la sécurité et le développement aillent de pair. En attendant, chaque trajet reste une épreuve, un pari sur la vie face à un ennemi invisible.