Dans les tréfonds d’une Ukraine meurtrie par la guerre, un jeu vidéo a émergé contre vents et marées. « S.T.A.L.K.E.R. 2 », la suite très attendue de la série lancée en 2007, a finalement vu le jour le 20 novembre dernier après un développement pour le moins chaotique. Une épopée digne d’un scénario hollywoodien, entre pandémie mondiale, invasion russe et exil forcé.
Le studio GSC Game World, rescapé de la tourmente
Lorsque les premiers chars russes ont franchi la frontière ukrainienne en février 2022, l’équipe du studio GSC Game World a dû prendre une décision cruciale : fuir vers l’ouest du pays, puis vers la République Tchèque, ou rester et prendre les armes. « La plupart sont restés en Ukraine mais nous n’avons pas l’impression d’avoir une équipe divisée », affirme Ievgen Grygorovych, le directeur du jeu âgé de seulement 37 ans.
Malgré la dispersion géographique, les quelque 500 employés ont continué à travailler d’arrache-pied, réunis chaque semaine en visioconférence. Un tour de force rendu possible par la détermination sans faille de Ievgen Grygorovych, véritable homme-orchestre qui a appris très jeune à « tout faire lui-même » au sein du studio fondé par son frère en 1995.
Sous le feu des hackers russes
Mais les défis étaient loin d’être terminés pour GSC Game World. Tout au long du développement, le studio a essuyé des cyberattaques quasi-quotidiennes de la part de pirates informatiques russes bien décidés à torpiller le projet. Une situation « irritante mais gérable » selon Ievgen Grygorovych, qui a contraint l’entreprise à muscler sa sécurité informatique.
Une menace d’autant plus présente que « S.T.A.L.K.E.R. 2 » se déroule dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, théâtre d’une seconde catastrophe nucléaire fictive. Un décor à la fois sublime et angoissant, dans lequel l’équipe s’est rendue à plusieurs reprises. « C’est l’un des plus beaux endroits sur Terre », s’enthousiasme le directeur, fasciné par cette nature qui reprend ses droits sur les ruines de la civilisation.
Un jeu à l’image de l’âme ukrainienne
Au-delà de son cadre post-apocalyptique, « S.T.A.L.K.E.R. 2 » se démarque par son ton résolument slave, bien loin des blockbusters américains survoltés. Une différence culturelle revendiquée, à l’image du peuple ukrainien : contemplatif, résigné, mais toujours debout malgré les épreuves. La guerre a d’ailleurs laissé son empreinte sur le jeu, comme l’explique Ievgen Grygorovych dans un documentaire YouTube sorti en octobre dernier.
L’invasion a eu un impact sur nous et sur le jeu car nous sommes devenus des personnes légèrement différentes.
Ievgen Grygorovych, directeur de « S.T.A.L.K.E.R. 2 »
Une métamorphose qui s’est traduite par des choix radicaux, comme la suppression des doublages en russe et l’abandon de ce marché autrefois crucial. Un sacrifice nécessaire pour un studio qui revendique haut et fort ses racines, et qui a reversé près de 800 000 dollars à une ONG locale grâce aux ventes de ses précédents jeux.
L’humain au cœur du processus créatif
Mais au-delà de ces considérations politiques, c’est avant tout l’aspect humain qui a guidé le développement de « S.T.A.L.K.E.R. 2 ». Malgré la pandémie et la guerre, les développeurs ont réussi à préserver leur créativité intacte pour livrer une expérience à la hauteur des attentes des fans. Un exploit salué par l’un d’entre eux dans le documentaire : « Je suis tellement heureux que ce jeu ait survécu à la guerre. Et je suis sûr que l’Ukraine s’en sortira aussi. »
Une belle leçon de vie qui prouve que l’art et la passion peuvent triompher des pires adversités. Alors que « S.T.A.L.K.E.R. 2 » s’apprête à débarquer sur nos écrans, gageons que l’abnégation de ses créateurs saura toucher le cœur des joueurs du monde entier. Une manière, aussi, de braquer les projecteurs sur ce pays meurtri mais fier, dont le combat et la résilience forcent l’admiration. L’Ukraine a peut-être perdu une bataille, mais avec des jeux comme « S.T.A.L.K.E.R. 2 », elle prouve qu’elle est loin d’avoir perdu la guerre.