Imaginez une petite parcelle de la Côte d’Azur, où les cloches d’une église orthodoxe résonnent doucement, où des tombes centenaires racontent l’histoire d’exilés russes. À Nice, ce lieu existe, mais il est au cœur d’une controverse qui secoue la communauté locale. La Russie vient de récupérer une église et un cimetière emblématiques, au détriment d’une association qui les gérait depuis un siècle. Pourquoi ce transfert de propriété fait-il débat, et que signifie-t-il pour les fidèles et l’histoire de la ville ?
Un Héritage Russe au Cœur de Nice
Depuis le XIXe siècle, Nice a été un refuge pour la communauté russe, attirée par le climat doux et la beauté de la Riviera. À cette époque, la famille impériale et l’Église orthodoxe russe acquièrent des terrains pour construire des lieux de culte, symboles d’une présence culturelle forte. Ces édifices, dont l’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra et le cimetière Caucade, deviennent des points d’ancrage pour les Russes en villégiature, puis pour ceux fuyant la Révolution de 1917. Ces lieux ne sont pas seulement des bâtiments : ils incarnent une mémoire collective, un lien entre deux mondes.
Pourtant, après la chute de l’URSS, la Russie moderne a commencé à revendiquer ces propriétés, réveillant des tensions enfouies. Cette démarche, loin d’être anodine, soulève des questions sur le droit, la religion et l’identité. Comment un État peut-il reprendre des biens confiés à une communauté locale pendant des décennies ?
Une Bataille Juridique Acharnée
La querelle autour de l’église et du cimetière oppose la Russie à l’association cultuelle Acor, qui gère ces lieux depuis les années 1920. Créée pour maintenir le culte orthodoxe à Nice, l’Acor s’est toujours distancée du patriarcat de Moscou, préférant d’autres affiliations, comme le patriarcat de Constantinople, puis celui de Roumanie en 2019. Cette indépendance a forgé une identité unique, mais elle a aussi fragilisé sa position face aux revendications russes.
« Nous sommes atterrés. On nous lâche dans la nature », confie Alexis Obolensky, président de l’Acor.
Le nœud du conflit réside dans une question juridique complexe : à qui appartiennent réellement ces biens ? La Russie argue que l’Église orthodoxe, au moment des acquisitions, était indissociable de l’État russe, rendant ces propriétés imprescriptibles. En face, l’Acor invoque la **prescription acquisitive**, un principe permettant de revendiquer un bien après en avoir assumé les charges, comme les impôts, pendant plus de 30 ans.
Après des années de procédure, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a tranché en faveur de la Russie, estimant que les dons privés ayant financé l’église et le cimetière ne changeaient rien à leur statut de propriété étatique. Cette décision, rendue en avril 2025, marque un tournant dans une saga judiciaire débutée il y a plus d’une décennie.
Les Lieux au Cœur du Conflit
L’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, surnommée la *vieille église*, est un joyau discret de Nice. Construite dans un style orthodoxe traditionnel, elle contraste avec l’architecture méditerranéenne environnante. Ses fresques colorées et son atmosphère paisible en font un lieu de recueillement pour des générations de fidèles. À quelques kilomètres, le cimetière Caucade surplombe la ville, abritant les tombes d’émigrés russes, aristocrates, artistes et exilés. Chaque pierre tombale raconte une histoire, un exil, une vie déracinée.
Pourquoi ces lieux sont-ils si précieux ?
- Symboles culturels : Ils incarnent la diaspora russe en France.
- Mémoire historique : Le cimetière conserve les traces d’exilés post-1917.
- Lieu de culte : L’église reste un espace spirituel actif.
La perte de ces lieux est un coup dur pour l’Acor et ses fidèles. En 2013, la Russie avait déjà repris la cathédrale orthodoxe de Nice, changeant les serrures du jour au lendemain. Cette rapidité d’exécution laisse craindre un scénario similaire pour l’église et le cimetière, plongeant la communauté dans l’incertitude.
Les Enjeux Religieux et Politiques
Ce conflit dépasse largement le cadre juridique. Il touche à des questions d’**identité religieuse** et de géopolitique. L’Église orthodoxe russe, étroitement liée au Kremlin, est souvent perçue comme un outil d’influence à l’étranger. En revendiquant ces propriétés, la Russie ne cherche pas seulement à récupérer des biens : elle affirme sa présence culturelle et spirituelle en Europe.