Imaginez un instant que critiquer une guerre vous vaille des années derrière les barreaux. En Russie, ce scénario n’a rien d’une fiction : il est devenu le quotidien de ceux qui osent encore dire non. Vendredi dernier, Lev Chlosberg, 61 ans, figure historique du pacifisme russe, a vu sa mise en résidence surveillée brutalement prolongée par une détention provisoire. Juste avant sa libération prévue.
Un pacifiste emblématique à nouveau privé de liberté
Lev Chlosberg n’est pas un inconnu. Ancien député régional de Pskov, membre éminent du parti Iabloko, il incarne depuis des décennies une opposition modérée mais inflexible au pouvoir de Vladimir Poutine. Ses prises de position contre l’intervention militaire en Ukraine lui valent aujourd’hui une nouvelle sanction.
Un tribunal de Pskov a décidé vendredi de le maintenir en détention jusqu’en février prochain. Motif officiel : diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe. En réalité, ses publications dénonçaient simplement les conséquences humaines du conflit. Sa libération était pourtant programmée pour le 8 décembre.
Ce revirement de dernière minute illustre une pratique bien rodée : les arrestations « en chaîne ». À peine une peine terminée, une nouvelle accusation surgit. Objectif : empêcher toute sortie durable du système répressif.
Le message de résistance de Lev Chlosberg
Avant d’être transféré, l’homme politique a publié un message bouleversant sur les réseaux sociaux via son comité de soutien :
« Amis, ne perdez pas espoir. La liberté est en nous. Je vous aime. »
Ces quelques mots résument la dignité intacte d’un homme qui refuse de plier malgré les années de pression. Ils ont immédiatement été repris par des milliers de personnes à travers le monde.
Iabloko, dernier bastion légal de l’opposition pacifiste
Le parti Iabloko reste aujourd’hui le seul mouvement politique enregistré en Russie qui ose encore critiquer ouvertement le conflit en Ukraine. Cette position lui coûte cher. Outre Lev Chlosberg, deux autres figures importantes font l’objet de poursuites :
- Maxime Krouglov
- Nikolaï Rybakov, président du parti
La stratégie semble claire : démanteler méthodiquement ce qui reste d’opposition pacifique avant les élections législatives prévues en septembre 2026.
Une répression qui s’intensifie depuis quatre ans
Depuis le début de l’opération militaire spéciale, les autorités russes ont adopté une série de lois draconiennes. Critiquer l’armée peut valoir jusqu’à quinze ans de prison. Les tribunaux prononcent des peines toujours plus lourdes, souvent dans des procès à huis clos.
La technique est rodée : une première condamnation pour un délit mineur, puis des chefs d’accusation supplémentaires déposés au fur et à mesure. Résultat : des années de détention préventive qui épuisent les accusés et leurs familles.
Lev Chlosberg cumule aujourd’hui plusieurs dossiers. Chacun peut théoriquement lui valoir plusieurs années supplémentaires. Le procès qui s’annonce sera long, très long. Et pendant toute sa durée, il restera derrière les barreaux.
Amnesty International tire la sonnette d’alarme
L’organisation de défense des droits humains a réagi immédiatement à l’annonce de la nouvelle détention. Dans un communiqué sans ambiguïté, elle écrit :
« En vue des élections législatives de septembre 2026, les autorités russes démantèlent progressivement ce qui reste de l’opposition politique pacifique. »
Ce constat brutal confirme ce que beaucoup observent depuis des mois : le pouvoir prépare le terrain pour un scrutin sans réelle concurrence.
Un exil massif des voix dissidentes
La plupart des grandes figures de l’opposition ont déjà quitté le pays. Certains ont été contraints à l’exil après des menaces directes, d’autres après des condamnations par contumace. Ceux qui restent, comme Lev Chlosberg, paient le prix fort.
Paradoxalement, certains exilés reprochent à l’intéressé de ne pas avoir condamné l’offensive russe avec assez de fermeté. D’autres lui font grief d’avoir critiqué certaines contre-attaques ukrainiennes. Ces divisions illustrent la difficulté de maintenir une ligne pacifiste cohérente dans un contexte aussi polarisé.
Que signifie être pacifiste en Russie aujourd’hui ?
Refuser la guerre dans le contexte russe actuel équivaut à un acte de courage exceptionnel. Dire que le conflit cause des souffrances inutiles suffit à vous faire passer pour un traître. Revendiquer la paix devient un crime d’État.
Lev Chlosberg a choisi de rester dans son pays malgré les risques. Ce choix force le respect, même chez ceux qui ne partagent pas toutes ses analyses. Il incarne une forme de résistance non violente dans un environnement où la violence d’État est devenue la norme.
Son cas révèle aussi la solitude croissante des opposants encore présents sur le territoire. Sans relais médiatique indépendant, sans possibilité de manifester, leur voix porte de moins en moins loin à l’intérieur du pays.
Vers une opposition totalement annihilée ?
À moins de deux ans des prochaines législatives, la stratégie du pouvoir semble limpide. En neutralisant une à une les dernières figures capables de porter un discours alternatif, le Kremlin s’assure un contrôle total du paysage politique.
Iabloko, déjà marginalisé, pourrait tout simplement disparaître de la scène légale. Ses membres les plus visibles sont soit en prison, soit sous le coup de poursuites, soit contraints au silence.
La question n’est plus de savoir si une opposition pacifique existera encore en 2026, mais plutôt si quiconque osera encore se présenter sous une étiquette différente du parti dominant.
Un symbole plus fort que les barreaux
Pourtant, l’histoire montre que la répression ne fait pas taire les idées. Chaque nouvelle condamnation d’un pacifiste rappelle au monde entier que la liberté d’expression est en danger en Russie. Le message de Lev Chlosberg – « la liberté est en nous » – résonne bien au-delà des murs de sa cellule.
Dans les prochains mois, son procès sera suivi avec attention. Il pourrait devenir le symbole d’une résistance qui refuse de s’éteindre, même dans les conditions les plus difficiles.
Car tant qu’il restera des femmes et des hommes prêts à payer ce prix pour leurs convictions, l’espoir d’un débat démocratique subsistera. Même étouffé. Même emprisonné. Même réduit au silence par la force.
Lev Chlosberg, derrière ses barreaux, continue de l’incarner.









