Dans les allées des centres commerciaux de Santiago du Chili, une clientèle pas comme les autres déferle par vagues depuis quelques mois : des milliers d’Argentins venus faire leur shopping, poussés par une inflation galopante dans leur pays qui rend les produits de consommation inabordables. Parfums, vêtements de marque, électronique, cosmétiques… Les paniers se remplissent à vue d’œil, et à moindre coût une fois convertis en pesos chiliens.
L’exode commercial des Argentins au Chili
Le phénomène prend une ampleur inédite. Selon les estimations des douanes chiliennes, le nombre d’Argentins venant faire leurs emplettes au Chili a bondi de 112% au premier trimestre 2024 par rapport à l’année précédente. Soit plus d’un million de voyageurs ayant traversé la frontière pour dépenser leurs pesos de l’autre côté des Andes.
Ce tourisme d’un genre particulier est loin d’être l’apanage des plus aisés. Toutes les classes moyennes argentines ou presque s’y mettent, quitte à parcourir des centaines de kilomètres en bus ou en voiture pour rejoindre les villes frontalières chiliennes comme Valparaiso, La Serena ou Osorno, et remplir leur coffre de denrées introuvables ou hors de prix dans les supermarchés de Buenos Aires ou Mendoza.
Une ruée vers l’ouest motivée par un différentiel de prix devenu abyssal entre les deux pays, dû à l’hyperinflation qui ronge le pouvoir d’achat en Argentine. Avec une hausse des prix à la consommation qui pourrait atteindre les 130% sur l’année selon le FMI, la monnaie locale dévisse face au peso chilien.
J’en ai eu pour l’équivalent de 150 euros en parfums et vêtements. En Argentine, ça m’aurait coûté quatre fois plus cher ! L’inflation est devenue insoutenable, heureusement qu’on peut venir au Chili de temps en temps pour souffler un peu.
Alberto, un architecte de Buenos Aires venu faire ses emplettes à Santiago
Le gouvernement chilien s’inquiète
Si le phénomène profite indéniablement à l’économie chilienne, le gouvernement commence à s’inquiéter de possibles pénuries sur certains produits prisés des Argentins. Des limitations d’achats pourraient être mises en place dans les prochaines semaines.
Les autorités pointent aussi du doigt le manque à gagner fiscal, ces achats étant souvent payés en espèces et sans TVA. Un accord bilatéral pourrait voir le jour pour mieux réguler ces flux.
Jusqu’à quand va durer l’exode ?
Côté argentin, le gouvernement semble pour l’instant impuissant à juguler l’hémorragie, pris en étau entre le mécontentement social et la nécessité de réformes économiques douloureuses pour redresser la barre. Le FMI table sur une récession de 5% cette année, un record depuis 20 ans.
- L’inflation pourrait grimper jusqu’à 130% en 2024 selon les projections
- Le peso argentin a perdu 50% de sa valeur en un an face au peso chilien
- Le salaire minimum argentin ne permet plus de couvrir le panier de base
Dans ce contexte, l’exode commercial vers le Chili apparaît comme une soupape de sécurité pour la classe moyenne argentine, qui peut ainsi accéder à des produits devenus inabordables. Mais cette solution ne pourra être que temporaire, soulignent les économistes. À défaut de réformes structurelles profondes, l’Argentine s’enfonce inexorablement dans la crise.