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Royaume-Uni Abandonne le Méga-Projet Gazier de TotalEnergies

Le Royaume-Uni vient de lâcher TotalEnergies : 1,15 milliard de dollars de soutien retirés pour le gigantesque projet gazier au Mozambique. Motif officiel : les risques sont devenus trop élevés. Mais derrière cette décision se cachent une attaque meurtrière, des plaintes pour homicide involontaire et des accusations de complicité de crimes de guerre. Le projet peut-il survivre à ce coup dur ?

Imaginez un investissement de vingt milliards de dollars, l’un des plus gros projets énergétiques d’Afrique, capable de propulser un pays parmi les dix premiers producteurs mondiaux de gaz naturel liquéfié. Et puis, du jour au lendemain, l’un des principaux soutiens financiers se retire, laissant derrière lui un gigantesque point d’interrogation. C’est exactement ce qui vient d’arriver au projet mené par TotalEnergies dans la province du Cabo Delgado, au Mozambique.

Un retrait britannique qui fait l’effet d’une bombe

Lundi, le gouvernement britannique a annoncé qu’il retirait son soutien financier, pouvant atteindre 1,15 milliard de dollars, au méga-projet gazier porté par le géant français. La raison officiellement avancée ? Les risques ont trop augmenté depuis 2020.

Peter Kyle, ministre du Commerce, l’a dit sans détour devant le Parlement : ce financement ne sert plus les intérêts du Royaume-Uni. Un langage diplomatique pour signifier que Londres ne veut plus mettre la main dans un dossier aussi explosif – au sens propre comme au figuré.

Un projet suspendu depuis l’horreur de Palma

Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut revenir à mars 2021. Des centaines de combattants affiliés à l’État islamique lancent une attaque coordonnée sur la ville de Palma, située à quelques kilomètres seulement du site du futur terminal GNL. Bilan : environ 800 morts selon l’ONG Acled, des milliers de déplacés, et des images insoutenables de corps abandonnés dans les rues.

Le chantier, alors en pleine effervescence, est immédiatement stoppé. TotalEnergies déclare la force majeure et évacue son personnel. Depuis, le site ressemble à une ville fantôme faite de béton armé et de rêves d’énergie suspendus.

« Le gouvernement de Sa Majesté estime que ces risques ont augmenté depuis 2020 »

Peter Kyle, ministre britannique du Commerce

Des chiffres qui donnent le vertige

Le projet Mozambique LNG représente :

  • Un investissement total estimé à 20 milliards de dollars
  • TotalEnergies détient 26,5 % des parts et est opérateur
  • Capacité prévue : plus de 13 millions de tonnes de GNL par an
  • Selon Deloitte 2024, les trois grands projets gaziers du pays (Total, ENI, ExxonMobil) pourraient faire du Mozambique un acteur majeur, représentant jusqu’à 20 % de la production africaine d’ici 2040.

Mais aujourd’hui, tout cela est en suspens.

TotalEnergies réclame 4,5 milliards et dix ans de plus

Fin octobre, le groupe français a adressé une demande officielle au gouvernement mozambicain : une compensation de 4,5 milliards de dollars pour couvrir les surcoûts liés au retard, ainsi qu’une extension de concession de dix années supplémentaires pour rattraper les quatre ans et demi perdus.

Une requête qui, dans le contexte actuel, ressemble à un pari osé.

Une insurrection qui ne faiblit pas

Depuis 2017, la province du Cabo Delgado est le théâtre d’une guerre asymétrique impitoyable. Le groupe Ahlu Sunna Wal Jama’a, affilié à l’État islamique, multiplie les attaques contre villages, forces de sécurité et, parfois, intérêts économiques étrangers.

Le bilan humain est terrifiant : plus de 6 300 morts et près d’un million de déplacés. Des quartiers entiers rasés, des exécutions sommaires, des enfants enrôlés de force. L’insurrection a transformé l’une des régions les plus pauvres du Mozambique en zone de non-droit.

Des plaintes judiciaires qui s’accumulent en France

En France, TotalEnergies fait l’objet de deux procédures lourdes :

  1. Une information judiciaire pour homicide involontaire ouverte après les plaintes de survivants et familles de victimes de l’attaque de Palma. Ils reprochent au groupe de ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants.
  2. Une plainte déposée par l’ONG allemande European Center for Constitutional and Human Rights pour complicité de crimes de guerre, torture et disparitions forcées, notamment après des témoignages accusant des soldats mozambicains chargés de protéger le site d’exactions sur des civils.

Ces dossiers judiciaires, même s’ils n’aboutissent pas forcément, pèsent lourd dans les décisions des investisseurs institutionnels et des assure-crédit.

Pourquoi le Royaume-Uni a-t-il lâché maintenant ?

Plusieurs facteurs convergent :

  • La pression croissante des ONG et du Parlement britannique sur les questions climatiques et de droits humains
  • Le durcissement des critères ESG (environnement, social, gouvernance) pour tout financement public
  • La dégradation continue de la situation sécuritaire malgré l’intervention rwandaise et sud-africaine aux côtés de l’armée mozambicaine
  • La montée des risques réputationnels pour tout acteur encore impliqué

En clair, le calcul coût-bénéfice n’est plus tenable pour Londres.

Vers une contagion chez les autres financeurs ?

Le retrait britannique fait figure de signal fort. D’autres institutions – Banque africaine de développement, agences de crédit export françaises, italiennes, japonaises, américaines – pourraient être tentées de suivre. Certaines ont déjà gelé ou réduit leurs engagements ces dernières années.

Si le financement s’effrite, le projet, qui repose sur une structure complexe de dette et d’équity, pourrait vaciller durablement.

Quel avenir pour le gaz mozambicain ?

TotalEnergies continue d’afficher sa détermination. Le groupe parle toujours d’une reprise des travaux en 2029 pour une première production vers 2030-2031. Mais chaque mois qui passe rend cet objectif plus hypothétique.

Le projet d’ENI, situé plus au large (Coral South et Coral North), a déjà commencé à produire et à exporter. Celui d’ExxonMobil reste, lui aussi, en standby. L’Afrique perdrait gros si l’ensemble du bassin du Rovuma ne décollait pas.

Mais à quel prix humain et environnemental ? La question est plus que jamais posée.

En résumé : le retrait britannique constitue un tournant majeur pour l’un des projets énergétiques les plus ambitieux du continent. Entre insécurité persistante, pressions judiciaires et risques judiciaires, le rêve gazier mozambicain vacille. Reste à savoir si TotalEnergies parviendra à maintenir le cap… ou si d’autres partenaires suivront Londres dans la sortie.

L’histoire n’est pas terminée. Elle vient à peine de prendre un virage décisif.

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