Un séisme politique secoue la Roumanie. Vendredi, la Cour constitutionnelle a pris une décision rarissime en Europe : annuler purement et simplement l’élection présidentielle dont le second tour devait se tenir ce dimanche. Au cœur de ce drame démocratique, un homme : Calin Georgescu, candidat nationaliste arrivé en tête à la surprise générale au premier tour. La justice le soupçonne d’avoir bénéficié d’une vaste campagne de soutien illicite pilotée depuis Moscou, notamment sur les réseaux sociaux. Mais l’intéressé crie au « coup d’État » et appelle ses partisans à descendre dans la rue.
Une campagne sous influence étrangère ?
Inconnu du grand public il y a encore quelques mois, Calin Georgescu a créé la sensation lors du premier tour le 24 novembre dernier. Son discours nationaliste et eurosceptique, résumé par le slogan « Roumanie d’abord », a séduit une partie de l’électorat lassé des partis traditionnels. Mais très vite, des soupçons d’ingérence étrangère dans sa campagne ont émergé.
Selon une source proche des services de renseignement roumains, pas moins de 25 000 comptes TikTok directement liés à la Russie auraient massivement relayé des contenus pro-Georgescu dans les deux semaines précédant le scrutin. Une campagne d’influence qui n’est pas sans rappeler celles observées lors d’autres élections en Europe ces dernières années.
Un riche homme d’affaires dans le viseur
Les autorités s’intéressent aussi au principal soutien financier présumé de Calin Georgescu, un certain Bogdan Peschir. Cet homme d’affaires à la fortune trouble aurait, selon nos informations, versé plus de 380 000 dollars à des internautes diffusant de la propagande électorale sur les réseaux sociaux. Un système de « ferme à trolls » qui n’est pas sans évoquer les méthodes désormais bien rodées du Kremlin pour tenter d’influencer les processus électoraux à l’étranger.
Cette ingérence étrangère est une attaque directe contre la démocratie roumaine et contre les valeurs européennes.
Klaus Iohannis, président roumain sortant
« Aucun lien avec la Russie » selon Georgescu
Interrogé sur une chaîne de TV britannique, Calin Georgescu a nié en bloc, affirmant n’avoir « aucun lien » avec la Russie. Il crie au « complot des élites » et qualifie même l’annulation du scrutin de « coup d’État ». Une rhétorique aux accents complotistes qui rappelle celle de certaines figures controversées comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro.
Depuis vendredi, l’homme appelle ses partisans à se mobiliser contre cette décision de justice qu’il juge « illégale et illégitime ». Sur les réseaux sociaux, certains évoquent déjà la perspective de manifestations de grande ampleur, faisant craindre des troubles à l’ordre public. Les autorités se disent « vigilantes » et prêtes à réagir en cas de débordements.
L’UE et l’OTAN aux côtés des institutions roumaines
Dans ce contexte tendu, les alliés de la Roumanie ont tenu à afficher leur soutien. Le gouvernement américain a dit faire « confiance aux institutions » du pays pour gérer cette crise. Même son de cloche du côté de l’UE, où la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est entretenue avec le président roumain sortant Klaus Iohannis.
Nous devons redoubler de vigilance face aux campagnes de désinformation et d’ingérence étrangère qui menacent nos démocraties.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne
Pour nombre d’observateurs, cette affaire illustre la vulnérabilité persistante des pays européens, et notamment ceux situés sur le flanc est de l’OTAN, aux opérations d’influence russes. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, Moscou semble déterminé à déstabiliser ses voisins par tous les moyens, y compris en interférant dans leurs processus électoraux.
Et maintenant ?
L’avenir politique de la Roumanie apparaît aujourd’hui très incertain. La perspective de nouvelles élections, sans garantie qu’elles ne soient pas à nouveau entachées par des ingérences extérieures, inquiète. Le paysage politique, déjà fragmenté, risque de se polariser encore davantage.
Calin Georgescu, en dépit ou peut-être en raison des graves soupçons qui pèsent sur lui, pourrait en fait sortir renforcé de cette crise aux yeux d’une partie de l’opinion. L’homme cultive habilement une image de « victime du système » qui semble trouver un certain écho. Ses appels à la « résistance » font craindre des lendemains difficiles pour la démocratie roumaine et, au-delà, pour la stabilité de toute la région.