Imaginez une maladie qu’on pensait presque vaincue il y a vingt ans, capable de tuer un enfant toutes les quatre minutes dans certaines régions du monde. Cette maladie existe encore. Elle s’appelle la rougeole, et elle revient en force.
Chaque année, des millions d’enfants échappent encore à la protection que deux petites injections pourraient leur offrir à vie. Et quand la couverture vaccinale baisse, même de quelques points, le virus, lui, ne rate jamais l’occasion de frapper.
Un cri d’alarme qui ne passe pas inaperçu
L’Organisation mondiale de la santé vient de publier des chiffres qui font froid dans le dos. En 2024, la couverture mondiale pour la première dose du vaccin rougeole atteint 84 %. C’est mieux qu’en 2023 (83 %), et surtout bien mieux qu’en 2000 (71 %). Mais c’est encore moins bien qu’avant la pandémie de Covid-19, où elle culminait à 86 %.
Deux points de pourcentage. Cela semble dérisoire. Pourtant, ces deux points représentent plus de vingt millions d’enfants non protégés rien que cette année.
20,6 millions d’enfants laissés pour compte
Pour être précis : 20,6 millions. C’est le nombre d’enfants qui, en 2024, n’ont toujours pas reçu leur première dose. Plus de la moitié d’entre eux vivent en Afrique.
Dans certains pays, la situation est dramatique. Des zones entières cumulent pauvreté extrême, conflits armés, déplacements massifs de population et systèmes de santé fragiles. Le vaccin, même gratuit, n’arrive tout simplement pas jusqu’aux enfants qui en ont le plus besoin.
« C’est une maladie grave qui peut être mortelle ; les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes et les personnes dont le système immunitaire est affaibli sont les plus exposés aux complications graves et aux décès. »
Kate O’Brien, directrice du département immunisation et vaccins à l’OMS
La deuxième dose : un progrès spectaculaire… mais insuffisant
Il y a une bonne nouvelle dans ce tableau sombre : la couverture de la deuxième dose a bondi de 17 % en 2000 à 76 % en 2024. C’est énorme. Mais pour interrompre totalement la transmission du virus, il faut atteindre 95 % avec les deux doses. On en est encore loin.
Et quand la protection collective faiblit, les épidémies reviennent. En 2024, 59 pays ont connu des flambées importantes ou particulièrement perturbatrices – un record depuis plus de vingt ans.
Pire : un quart de ces foyers sont apparus dans des pays officiellement déclarés « exempts de rougeole ». Le Canada vient de perdre ce statut. Les États-Unis vivent leur pire épidémie depuis plus de trente ans. L’Europe n’est pas épargnée.
Pourquoi la rougeole revient-elle si fort ?
La réponse est multiple. La pandémie de Covid-19 a laissé des traces profondes. Pendant deux ans, les campagnes de vaccination de routine ont été interrompues ou fortement réduites dans de nombreux pays. Les enfants nés entre 2020 et 2022 ont souvent raté leur rendez-vous vaccinal.
Mais le Covid n’explique pas tout. L’hésitation vaccinale, alimentée par la désinformation en ligne, joue aussi son rôle. Des parents, parfois dans des pays riches, refusent ou repoussent la vaccination par peur des effets secondaires pourtant rarissimes.
Cependant, les experts de l’OMS sont clairs : le principal obstacle reste l’accès. Dans de nombreuses régions, les centres de santé sont trop loin, les routes impraticables, les réfrigérateurs pour conserver les vaccins inexistants, ou les familles simplement oubliées par les systèmes de santé.
« Il s’agit d’un accès pour les populations qui en ont le plus besoin, celles qui cumulent les difficultés, et de les intégrer au système de santé. »
Diana Chang Blanc, chef d’unité du Programme essentiel sur la vaccination
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Pour mieux comprendre l’ampleur du défi, voici quelques données clés en 2024 :
- Couverture première dose : 84 % (contre 86 % avant Covid)
- Couverture deuxième dose : 76 %
- Enfants sans première dose : 20,6 millions
- Pays touchés par des épidémies majeures : 59
- Cas estimés dans le monde : 11 millions
- Décès estimés : 95 000 (dont 80 % en Afrique et Méditerranée orientale)
À titre de comparaison, en 2000, on comptait près de 38 millions de cas et plus de 700 000 décès par an. Les vaccins ont sauvé des centaines de milliers de vies. Mais le chemin est encore long.
Que faire concrètement ? Les recommandations de l’OMS
L’organisation ne se contente pas d’alerter. Elle propose des solutions précises et pragmatiques :
- Renforcer les soins de santé primaires et la vaccination de routine
- Développer des stratégies innovantes pour atteindre les populations isolées (vaccination mobile, intégration dans les camps de réfugiés, etc.)
- Lancer des campagnes de rattrapage là où la couverture est trop faible
- Améliorer la surveillance et la réaction rapide aux épidémies
- Augmenter l’engagement politique et les financements durables
Car, comme le rappelle Diana Chang Blanc : « Un monde sans rougeole ni rubéole n’est possible que si chaque enfant, partout, dans chaque pays et même dans les régions les plus reculées, est immunisé. »
Un espoir tenace malgré les obstacles
Il faut le dire et le redire : la rougeole est l’une des maladies les plus contagieuses au monde, mais elle est aussi l’une des plus facilement évitables. Un vaccin sûr, efficace, peu coûteux et disponible depuis plus de cinquante ans existe.
Les progrès réalisés depuis l’an 2000 sont colossaux. Le nombre de décès a été divisé par sept. Des régions entières ont éliminé la maladie. Cela prouve que c’est possible.
Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus technique. Il est politique, logistique et humain. Il s’agit de volonté. De moyens. Et surtout de ne laisser personne de côté.
Parce qu’un enfant qui meurt de rougeole en 2025 n’est pas une fatalité. C’est un échec collectif.
Et cet échec, nous avons encore le pouvoir de le transformer en succès. Ensemble.
Chaque dose administrée est une vie protégée.
Chaque enfant vacciné est une victoire sur un virus qui n’a pas sa place au XXIe siècle.
La rougeole nous rappelle une vérité simple mais brutale : les acquis de santé publique ne sont jamais définitivement gagnés. Ils demandent un effort constant, partout, tout le temps.
En 2025, le choix est devant nous : laisser le virus reprendre du terrain, ou enfin atteindre ces 95 % qui nous séparent d’un monde sans rougeole.
Le temps presse. Mais il n’est pas trop tard.









