Dans les rues animées de Jakarta, une vague de colère et d’espoir s’est levée, portée par deux couleurs : le rose et le vert. Ces teintes, loin d’être anodines, sont devenues les emblèmes d’un mouvement social qui a secoué l’Indonésie en août 2025. Tout a commencé par une indignation face à une indemnité parlementaire jugée exorbitante, mais la révolte s’est rapidement transformée en un cri plus large contre les inégalités et l’impunité des forces de l’ordre. Comment ces couleurs ont-elles capturé l’imaginaire d’un peuple en quête de justice ?
Les Couleurs d’une Révolte Populaire
Le rose et le vert ne sont pas de simples choix esthétiques. Ils incarnent des histoires humaines, des moments figés dans l’histoire récente de l’Indonésie. Le rose évoque le hijab d’une manifestante, devenue une icône après avoir bravé un cordon policier devant le Parlement à Jakarta. Cette image, capturée par des photographes, a galvanisé les foules. Le vert, lui, est la couleur des blousons portés par les conducteurs de moto-taxi, symboles d’une classe laborieuse confrontée à la précarité. La mort tragique d’un jeune conducteur, écrasé par un fourgon policier, a transformé ce vert en un cri de ralliement.
Ces couleurs se retrouvent partout : sur les graffitis des murs de Yogyakarta, sur les t-shirts des manifestants, dans les filtres des réseaux sociaux. Elles unissent une population diverse, des étudiants aux travailleurs, dans une quête commune de justice sociale.
Une Mobilisation née de l’Injustice
Le mouvement a éclaté le 25 août 2025, lorsque des milliers d’Indonésiens sont descendus dans les rues pour protester contre une hausse des indemnités des députés, perçue comme un affront dans un pays où les inégalités économiques s’aggravent. Cette mesure, équivalant à dix fois le salaire minimum à Jakarta, a cristallisé un mécontentement plus profond. Les citoyens, qui espéraient profiter des fruits de la croissance économique, font face à des coupes budgétaires et à un système perçu comme corrompu.
Tout le système est corrompu, il y a une trop grande distance entre les gens du gouvernement, du Parlement, et nous, les gens qu’ils doivent servir.
Dila, une manifestante de 28 ans
La mort d’Affan Kurniawan, un conducteur de moto-taxi âgé de 21 ans, a exacerbé la colère. Écrasé par un fourgon de police, son décès a transformé les manifestations en affrontements violents, marqués par des pillages et des incendies. Selon la Commission nationale des droits humains, ces événements ont causé 10 morts et 900 blessés, des chiffres qui soulignent l’ampleur de la crise.
Des Symboles qui Unissent
Dans ce chaos, le rose et le vert sont devenus des outils de solidarité. À Yogyakarta, un graffiti géant proclame Reset System, un appel à repenser les structures politiques et sociales du pays. Sur les réseaux sociaux, des filtres aux couleurs vibrantes permettent aux Indonésiens, même à l’étranger, de montrer leur soutien.
Pour Sphatika, une jeune femme de 25 ans, utiliser ces filtres est une manière de se sentir connectée :
Je sens que nous ne sommes pas seuls, quand je vois d’autres personnes utiliser le même filtre.
Sphatika Winursita, habitante de Banten
Ces symboles transcendent les frontières. Muhammad, un étudiant en Allemagne, explique que le mouvement rose et vert contredit l’idée que les protestations sont manipulées par des forces extérieures. Pour lui, ces couleurs incarnent une résistance authentique, portée par le peuple.
Une Réponse Gouvernementale Contrastée
Face à la pression populaire, le président Prabowo Subianto a fait un pas en arrière en supprimant la hausse des indemnités parlementaires. Cependant, sa fermeté reste de mise. Qualifiant certaines actions de trahison ou de terrorisme, il a déployé massivement la police et l’armée pour rétablir l’ordre. Cette répression a suscité des critiques, notamment de l’ONU, qui réclame des enquêtes sur les violations des droits humains.
Pour beaucoup, comme Dila, cette réponse ne suffit pas. La jeune femme appelle à une réforme profonde de la police, dénonçant une impunité chronique. Elle insiste sur le fait que les manifestations ne sont que la pointe de l’iceberg, révélant des années de frustrations accumulées.
Les Racines d’un Mécontentement Profond
Derrière le rose et le vert, c’est un malaise économique et social qui s’exprime. L’Indonésie, malgré sa croissance, peine à réduire les inégalités. Les coupes budgétaires, destinées à financer des programmes comme les repas gratuits pour les écoliers, ont exacerbé les tensions. Les citoyens se sentent délaissés par un système qui privilégie les élites.
Les chiffres clés de la crise :
- 10 morts recensés lors des manifestations.
- 900 blessés selon la Commission nationale des droits humains.
- 25 août 2025 : début des protestations à Jakarta.
- Indemnité parlementaire : équivalait à 10 fois le salaire minimum.
Ce mécontentement n’est pas nouveau. Les Indonésiens, en particulier les jeunes, aspirent à un système plus équitable, où leurs voix sont entendues. Comme le souligne Mutiara, militante pour les droits des femmes, le peuple n’est pas le problème : il revendique simplement son droit à être écouté.
Un Mouvement qui Dépasse les Frontières
Le mouvement rose et vert ne se limite pas aux rues de Jakarta ou de Yogyakarta. Il s’étend à la diaspora, qui utilise les réseaux sociaux pour amplifier le message. Les filtres colorés, les hashtags et les images partagées créent un sentiment d’unité mondiale. Pour beaucoup, c’est une manière de contrer les récits officiels qui minimisent la portée des protestations.
Ce phénomène illustre le pouvoir des symboles dans les luttes sociales. Le rose et le vert ne sont pas seulement des couleurs : ils sont des étendards d’une génération qui refuse de se taire. Ils rappellent que, même face à la répression, la solidarité peut naître de gestes simples, comme un filtre sur une photo ou un graffiti sur un mur.
Vers un Avenir Incertain
Si le calme est revenu dans l’archipel, la tension reste palpable. Les revendications des manifestants – réforme de la police, justice sociale, réduction des inégalités – n’ont pas toutes été satisfaites. Le recul du président sur l’indemnité parlementaire est un premier pas, mais pour beaucoup, il est insuffisant.
Le mouvement rose et vert, avec ses symboles puissants, pourrait marquer un tournant dans l’histoire indonésienne. Il révèle une société en quête de changement, prête à se mobiliser pour défendre ses droits. Mais la route est encore longue, et la question demeure : ces couleurs continueront-elles à inspirer une révolution pacifique, ou s’effaceront-elles face à la répression ?
Le rose et le vert ne sont pas qu’une mode : ils sont le cri d’un peuple qui rêve d’un avenir plus juste.
En attendant, les Indonésiens continuent de peindre leurs murs, de colorer leurs profils et de descendre dans la rue. Le rose et le vert, bien plus que des couleurs, sont devenus les symboles d’une lutte qui ne fait que commencer.