Quand la nuit tombe sur le court Philippe-Chatrier, les projecteurs s’allument, le public s’installe, et l’ambiance électrique de Roland-Garros atteint son apogée. Mais une question persiste : où sont les femmes ? Depuis des années, la session nocturne, moment clé du tournoi, semble réservée aux hommes, suscitant colère et incompréhension. Ons Jabeur, figure emblématique du tennis, a récemment qualifié cette situation de « honte ». Plongeons dans ce débat brûlant qui mêle sport, égalité et choix controversés.
Une programmation qui fait débat
Chaque année, Roland-Garros attire des millions de spectateurs, en présentiel ou via les écrans. La session nocturne, introduite pour offrir des matchs spectaculaires sous les lumières du stade, est un moment privilégié. Pourtant, un constat frappe : aucun match féminin n’y est programmé. En 2024, comme en 2025, les affiches du soir mettent systématiquement en avant le tableau masculin. Cette décision, loin d’être anodine, soulève des questions sur l’égalité dans le sport.
Pour illustrer, prenons l’exemple de cette édition 2025. Mercredi soir, les spectateurs ont assisté à un duel entre Holger Rune et Emilio Nava. Une rencontre intéressante, certes, mais qui a éclipsé un potentiel choc entre Iga Swiatek et Emma Raducanu, relégué à une horaire diurne. Ce choix, répété jour après jour, interroge sur les critères de programmation.
Ons Jabeur, voix de la révolte
La Tunisienne Ons Jabeur, ancienne numéro 2 mondiale, n’a pas mâché ses mots. Après sa défaite au premier tour face à Magdalena Frech, elle a exprimé sa frustration en conférence de presse :
C’est une honte pour les fédérations, une honte pour les chaînes de télévision. Il y a des joueuses qui méritent qu’on leur prête de l’attention.
Ons Jabeur
Son indignation ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2024, à Madrid, elle dénonçait des traitements différenciés entre joueurs et joueuses. À Roland-Garros, elle pointe du doigt des choix qui, selon elle, marginalisent le tennis féminin. Elle cite notamment le match entre Paula Badosa et Naomi Osaka, qui aurait pu captiver le public en soirée. Pour Jabeur, ces décisions reflètent un manque de respect envers les athlètes féminines.
Les justifications des organisateurs
Face à la polémique, les organisateurs tentent de se défendre. La directrice du tournoi, Amélie Mauresmo, avait expliqué en 2024 que la programmation des sessions nocturnes repose sur des critères de temps de jeu et d’attractivité pour le public. Selon elle, un match unique en soirée impose des contraintes, notamment pour garantir une durée suffisante aux spectateurs. Les matchs masculins, souvent disputés en cinq sets, seraient privilégiés pour leur intensité supposée.
Le président de la fédération française de tennis, Gilles Moretton, a quant à lui adopté une posture plus évasive. Lors d’une conférence de presse, il a insisté sur la nécessité de « choisir le meilleur match possible » pour les spectateurs, tout en promettant d’envisager des matchs féminins en soirée si leur intérêt est jugé suffisant. Une promesse qui, pour l’instant, reste lettre morte.
Pourquoi les matchs féminins sont-ils systématiquement écartés des sessions nocturnes ? Est-ce une question de durée, d’audience ou de préjugés ?
Un problème structurel dans le sport
Le cas de Roland-Garros n’est pas isolé. Ons Jabeur élargit le débat à une problématique plus globale : la visibilité du sport féminin. « On ne diffuse pas de sport féminin et ensuite on se pose la question de savoir pourquoi on regarde plus le sport masculin », a-t-elle déclaré. Cette remarque met en lumière un cercle vicieux : moins de diffusion entraîne moins d’intérêt, ce qui justifie à son tour une moindre programmation.
Pour mieux comprendre, voici quelques chiffres éloquents :
- En 2024, 100 % des sessions nocturnes de Roland-Garros étaient des matchs masculins.
- Le tennis féminin représente 50 % des participants au tournoi, mais seulement 10 % des créneaux de prime time.
- Les audiences des matchs féminins, comme ceux d’Iga Swiatek, rivalisent souvent avec celles des hommes.
Ces données montrent un déséquilibre flagrant. Pourtant, des joueuses comme Serena Williams, Naomi Osaka ou Iga Swiatek ont prouvé que le tennis féminin peut attirer des foules et générer des audiences massives. Alors, pourquoi cette réticence à leur offrir la lumière des projecteurs ?
Les joueuses et leurs préférences
Certains arguments avancés par les organisateurs reposent sur les préférences des joueuses elles-mêmes. Iga Swiatek, par exemple, a exprimé une réticence à jouer en session nocturne, invoquant des conditions de jeu moins favorables (température, humidité). Cet argument, bien que valable, ne peut justifier l’absence totale de matchs féminins en soirée. D’autres joueuses, comme Ons Jabeur ou Naomi Osaka, semblent prêtes à relever le défi des projecteurs.
De plus, les organisateurs consultent les têtes d’affiche avant de programmer les matchs. Cette pratique, censée respecter les athlètes, soulève une autre question : pourquoi les joueuses ne sont-elles pas davantage encouragées à occuper ces créneaux prestigieux ?
Le rôle des diffuseurs
Un autre acteur clé dans ce débat est le diffuseur, en l’occurrence Amazon Prime pour Roland-Garros. Bien que les organisateurs nient toute pression de sa part, il est difficile d’ignorer l’influence des chaînes de télévision sur la programmation. Les diffuseurs cherchent à maximiser l’audience, et certains estiment que les matchs masculins attirent davantage de spectateurs. Pourtant, des duels comme Badosa-Osaka ou Swiatek-Raducanu ont un potentiel d’attraction indéniable.
Je suis fan de tennis et je regarderais un match comme Paula contre Naomi en soirée.
Ons Jabeur
Ce constat met en lumière une contradiction : si les diffuseurs et organisateurs prétendent répondre aux attentes du public, pourquoi ignorer des affiches féminines à fort potentiel ?
Un enjeu d’égalité plus large
Le débat dépasse le cadre de Roland-Garros et touche à la question de l’égalité hommes-femmes dans le sport. En Europe, comme le souligne Jabeur, le sport féminin souffre d’un manque de visibilité chronique. Que ce soit dans le football, le basketball ou le tennis, les compétitions masculines dominent les écrans. Cette situation reflète des préjugés ancrés, où le sport masculin est perçu comme plus « bankable ».
Pourtant, les mentalités évoluent. Les succès de joueuses comme Coco Gauff ou Aryna Sabalenka montrent que le public est prêt à s’enthousiasmer pour le tennis féminin. Les organisateurs doivent-ils attendre que l’audience « prouve » cet intérêt, ou devraient-ils prendre le risque de programmer des matchs féminins en soirée pour créer un nouvel élan ?
Année | Matchs féminins en session nocturne | Matchs masculins en session nocturne |
---|---|---|
2023 | 0 | 10 |
2024 | 0 | 10 |
2025 | 0 (jusqu’à présent) | 5 (jusqu’à présent) |
Vers un changement de paradigme ?
Changer les habitudes ne sera pas simple. Les organisateurs de Roland-Garros, comme ceux d’autres tournois, doivent jongler avec des contraintes économiques, logistiques et culturelles. Cependant, le vent du changement souffle. Les critiques d’Ons Jabeur, relayées par d’autres joueuses et par une partie du public, pourraient pousser les décideurs à revoir leur approche.
Une solution envisagée pourrait être d’alterner les matchs masculins et féminins en session nocturne, ou de programmer deux matchs par soirée, comme cela se fait dans d’autres tournois. Cela permettrait de valoriser les deux tableaux tout en répondant aux attentes des spectateurs. Une autre piste serait d’impliquer davantage les joueuses dans les décisions, pour s’assurer que leurs voix soient entendues.
Le rôle des fans
Enfin, les spectateurs ont un rôle à jouer. En manifestant leur intérêt pour les matchs féminins, que ce soit dans les gradins ou sur les réseaux sociaux, ils peuvent influencer les choix des organisateurs. Ons Jabeur l’a bien compris : « Je ne sais pas de quels fans ils parlent, mais moi, je regarderais un match féminin en soirée. »
Les réseaux sociaux, en particulier, offrent une plateforme pour amplifier ces revendications. Des hashtags comme #EqualTennis ou #WomenInPrimeTime pourraient émerger pour soutenir cette cause. Le pouvoir du public est réel, et il pourrait faire pencher la balance.
Un combat pour l’avenir
La polémique autour des sessions nocturnes à Roland-Garros est plus qu’un simple débat sur la programmation. Elle touche à des questions fondamentales d’égalité, de visibilité et de reconnaissance. Ons Jabeur, avec sa franchise habituelle, a mis le doigt sur une blessure ouverte dans le monde du sport. Ses mots résonnent comme un appel à l’action, non seulement pour les organisateurs, mais pour toute l’industrie du sport.
Le tennis, souvent présenté comme un modèle d’égalité avec des prize money équivalents dans les tournois du Grand Chelem, doit maintenant relever un nouveau défi : offrir une visibilité équitable. Les joueuses méritent leur place sous les projecteurs, au sens propre comme au figuré. Alors, la question demeure : Roland-Garros osera-t-il programmer un match féminin en session nocturne en 2026 ? L’avenir nous le dira.
Et vous, que pensez-vous de cette programmation ? Soutenez-vous l’appel d’Ons Jabeur pour plus d’égalité ?