En ce mardi matin, les abords du tribunal de Fort-de-France bruissent d’une agitation inhabituelle. Une foule de manifestants s’est rassemblée, scandant des slogans de soutien à celui qui est devenu en quelques mois le visage de la contestation en Martinique : Rodrigue Petitot. Le leader du mouvement contre la vie chère comparaît aujourd’hui pour avoir forcé la résidence du préfet en novembre dernier. Un procès qui cristallise les vives tensions qui secouent l’île depuis des mois.
L’ascension d’une figure controversée
Rodrigue Petitot, 38 ans, n’était jusqu’à récemment qu’un nom parmi d’autres. Mais en lançant en septembre dernier le Rassemblement pour la Protection des Peuples et Ressources Afro-Caribéens (RPPRAC), ce natif de Fort-de-France s’est imposé comme le porte-voix des Martiniquais excédés par la cherté de la vie. Un engagement qui tranche avec son passé trouble de trafiquant de drogue, qui lui a valu cinq ans derrière les barreaux.
Charismatique et volontiers provocateur, Petitot a su fédérer autour de lui. Ses appels à la mobilisation ont été largement suivis, plongeant la Martinique dans un climat insurrectionnel : manifestations, blocages, incendies de magasins, affrontements avec les forces de l’ordre… Le mouvement a pris une ampleur inédite, forçant le gouvernement à réagir.
Un bras de fer musclé avec les autorités
Malgré un accord signé le 16 octobre entre l’État, la grande distribution et les élus locaux actant une baisse des prix sur 6000 produits, Rodrigue Petitot a refusé de désarmer. Un choix qui l’a placé dans le collimateur des autorités, et singulièrement du préfet Jean-Christophe Bouvier.
C’est d’ailleurs en voulant rencontrer le ministre des Outre-mer Jean-Noël Buffet, venu en Martinique début novembre, que le leader contestataire a franchi la ligne rouge. Accompagné de son garde du corps et de la trésorière du RPPRAC, il a pénétré dans la résidence du préfet, déclenchant l’ire de ce dernier qui l’a expulsé manu militari.
Il faut s’attendre à la venue de nombreux manifestants
Un observateur de la situation martiniquaise
Un procès sous haute tension
C’est cet épisode qui vaut à Rodrigue Petitot de comparaître ce jour pour violation de domicile. Ses avocats dénoncent un dossier monté de toutes pièces pour abattre celui qui est devenu un opposant gênant. La défense assure qu’aucune porte n’a été forcée et que leur client voulait simplement s’entretenir avec le ministre.
Dans un contexte déjà explosif, ce procès fait figure de poudrière. Une grève a d’ailleurs paralysé hier plusieurs services publics de l’île en soutien au leader emprisonné. Des rassemblements sont prévus aujourd’hui devant le tribunal sous haute surveillance policière, faisant craindre de nouveaux débordements.
Au-delà du sort judiciaire de Rodrigue Petitot, c’est l’avenir du mouvement contre la vie chère et plus largement la paix sociale en Martinique qui se jouent aujourd’hui. Beaucoup redoutent un embrasement en cas de condamnation sévère de celui que d’aucuns qualifient déjà de « prisonnier politique ».
Un pari risqué pour le meneur contestataire ?
Habitué aux coups d’éclat et aux déclarations tonitruantes, Petitot semble néanmoins avoir conscience d’avoir peut-être été trop loin cette fois-ci. Lui qui se voyait déjà en héraut de la lutte contre la pwofitasyon (exploitation) risque gros dans cette affaire, d’autant qu’il est en état de récidive.
D’après ses proches, il reste cependant combatif et déterminé à poursuivre le combat, quel qu’en soit le prix. Une posture qui force le respect de ses partisans mais qui inquiète les autorités, redoutant qu’il n’attise encore les braises de la révolte.
Il teste les limites pour voir jusqu’où il peut aller et il est déjà allé trop loin
Un proche du dossier
Une issue incertaine, des répercussions assurées
À l’heure où débute le procès, tous les regards sont braqués sur le palais de justice de Fort-de-France. Les enjeux dépassent de loin le cas personnel de Rodrigue Petitot. C’est un véritable bras de fer politique qui s’engage, avec en toile de fond la lancinante question des inégalités et de la cherté de la vie en Martinique.
Quelle que soit l’issue des débats, une chose est sûre : la Martinique retiendra son souffle aujourd’hui. Et nul doute que l’onde de choc de ce procès se fera sentir bien au-delà du prétoire, présageant de nouvelles turbulences dans un territoire à fleur de peau. L’histoire mouvementée de Rodrigue Petitot est loin d’avoir livré tous ses secrets.