C’est un séisme politique qui se profile en Afrique du Sud. Alors que le pays s’apprête à tenir des élections générales le 29 mai prochain, les sondages annoncent une cuisante défaite pour le Congrès national africain (ANC), le parti historique de Nelson Mandela au pouvoir sans discontinuer depuis la fin de l’apartheid en 1994. Miné par les affaires de corruption et la crise économique, l’ANC pourrait bien perdre la majorité absolue au Parlement pour la première fois de son histoire.
L’ANC au plus bas dans les sondages
La chute annoncée est vertigineuse. Selon les projections, l’ANC ne recueillerait qu’environ 40% des voix au niveau national, en baisse de près de 18 points par rapport aux dernières élections de 2019. Le parti a payé au prix fort les années de présidence de Jacob Zuma, embourbé dans de multiples scandales de corruption. Son successeur Cyril Ramaphosa, élu sur la promesse de nettoyer les écuries d’Augias, n’est pas parvenu à enrayer le déclin.
Dans ce contexte, l’Alliance démocratique (DA), le principal parti d’opposition de centre-droit, espère tirer son épingle du jeu. Mais la véritable surprise pourrait venir d’un nouveau venu : le parti uMkhonto we Sizwe (MK), fondé dans le plus grand secret fin 2023 par des proches de Jacob Zuma pour précipiter la chute de l’ANC. Dans la province du Kwazulu-Natal, fief de l’ancien président, le MK écraserait la concurrence avec plus de 70% des voix dans certaines circonscriptions.
L’ANC face à un choix crucial
Mis en minorité au Parlement, l’ANC sera contraint de former une coalition pour se maintenir au pouvoir. Deux options diamétralement opposées se profilent :
- Une “grande coalition” avec l’Alliance démocratique autour d’un programme de réformes libérales, qui rassurerait les milieux d’affaires
- Une alliance avec le parti de Jacob Zuma et/ou les radicaux de gauche des Combattants pour la liberté économique (EFF), au risque de “créer la panique chez les investisseurs” selon un analyste
Quelle que soit l’option choisie, une page se tourne en Afrique du Sud. Près de trois décennies après l’accession de Nelson Mandela à la présidence dans l’euphorie de la “nation arc-en-ciel”, l’ANC n’incarne plus l’espoir d’une vie meilleure pour une majorité de Sud-Africains. Confronté à une opposition revigorée, le parti de la libération devra se réinventer pour garder sa place dominante dans le paysage politique du pays.
Ce que je ne m’explique pas, c’est que pendant vingt ans Jacob Zuma a été l’un des plus hauts, sinon le plus haut, responsable de l’ANC dans le pays.
– Mavuso Msimang, vice-président de la ligue des vétérans de l’ANC
La montée des partis ethno-nationalistes
Au-delà du duel ANC-opposition, ces élections marquent une poussée des partis jouant la carte ethno-nationaliste. Outre la percée du MK, formation ancrée dans la communauté zouloue, l’Alliance patriotique réalise elle aussi une percée en ciblant l’électorat “coloured” (métis). De quoi fragiliser le crédo de l’ANC, qui s’est toujours efforcé de gommer les clivages raciaux et ethniques hérités de l’apartheid.
Le dépouillement se poursuit mais une certitude se dégage déjà : l’Afrique du Sud s’apprête à entrer dans une zone de fortes turbulences politiques. Le rêve d’une nation unie et réconciliée porté jadis par Nelson Mandela n’a jamais semblé aussi lointain.