La chute de Bachar al-Assad marque un tournant historique pour la Syrie. Mais elle lève aussi le voile sur l’un des pans les plus sombres du régime : ses geôles. Parmi elles, la sinistre prison de Saydnaya, véritable « abattoir humain » selon Amnesty International, où se sont déroulées pendant des années les pires exactions.
Les images sont saisissantes. Filmées quelques heures seulement après l’entrée des rebelles dans Damas et la fuite d’Assad en Russie, elles montrent des hommes armés faisant sauter les verrous des cellules de Saydnaya. « Vous êtes des hommes libres, sortez ! C’est fini, Bachar est parti, on l’a écrabouillé ! », crient-ils aux détenus hagards qui peinent à réaliser.
Des milliers de prisonniers dans des conditions inhumaines
Car l’enfer qu’ils ont vécu à Saydnaya dépasse l’entendement. Cellules surpeuplées aux murs rongés par l’humidité et la saleté. Ni meubles ni sanitaires, juste quelques couvertures jetées à même le sol carrelé. Des visages émaciés, des corps si faibles que certains doivent être portés par leurs codétenus pour avancer.
D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), environ 30 000 personnes étaient détenues à Saydnaya, dont seulement 6 000 ont été relâchées. Les autres ? Exécutés, torturés à mort, ou retenus dans des cellules souterraines hermétiques, parfois depuis le début de la révolution en 2011. Un véritable « goulag » syrien.
« J’ai peur » : le traumatisme des femmes détenues
Derrière les portes d’une autre aile, des femmes. Apeurées, traumatisées. « J’ai peur », hurlent plusieurs d’entre elles, terrifiées à l’idée d’être à nouveau violentées par des hommes en armes. Même libres, l’horreur est ancrée en elles. Difficile d’imaginer ce qu’elles ont traversé entre ces murs.
Des familles désespérées à la recherche de leurs proches
Dehors, l’incertitude et l’angoisse dominent. Par vagues, les anciens détenus sortent, méconnaissables. Nombre d’entre eux errent, hagards, incapables de retrouver leurs proches. « Où aller ? Qui retrouver ? », s’interrogent-ils, eux qui ont parfois disparu depuis l’époque d’Hafez al-Assad, le père de Bachar.
Aida Taher, 65 ans, espère retrouver son frère arrêté en 2012. En vain. Malgré ses recherches effrénées dans les sous-sols de la prison, des pans entiers restent inaccessibles, murés par des portes aux codes secrets. « Nous avons été opprimés assez longtemps, on veut que nos enfants reviennent », s’emporte-t-elle, en larmes.
Plus de 100 000 morts dans les prisons syriennes
Le bilan de la répression est effroyable. Depuis 2011, plus de 100 000 personnes ont péri dans les geôles du régime selon l’OSDH, notamment sous la torture. Amnesty International parle de « politique d’extermination », avec des milliers d’exécutions. Des crimes contre l’humanité à grande échelle, dans l’indifférence internationale.
Sur les réseaux sociaux, les familles partagent massivement les photos de leurs disparus. Des clichés souvent anciens, en noir et blanc, de jeunes hommes souriants, de manifestants brandissant les drapeaux de la révolution. Avec cet espoir ténu qu’ils aient survécu à l’horreur et qu’ils ressurgissent, libres.
Un lourd travail de mémoire à accomplir
Aujourd’hui, les langues se délient sur ces années noires. Mais la lumière est encore loin d’être faite. Des milliers de prisonniers restent portés disparus. Beaucoup ont probablement péri sans laisser de traces, emportant avec eux la vérité sur leur supplice.
L’heure est désormais à la recherche de la vérité et à la reconnaissance des souffrances endurées. Un travail de mémoire indispensable pour tenter de tourner cette sombre page de l’histoire syrienne. Et rendre, enfin, justice aux victimes de ce système carcéral inhumain qui a broyé des dizaines de milliers de vies.