C’est un véritable séisme géopolitique qui se profile en Afrique de l’Ouest. À deux jours d’un sommet crucial de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les juntes militaires au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina Faso ont réaffirmé vendredi leur volonté « irréversible » de quitter cette organisation régionale. Un coup dur pour la Cedeao qui espérait encore faire fléchir ces régimes issus de coups d’État et de plus en plus hostiles à l’influence occidentale.
Une rupture consommée malgré les efforts de médiation
Pourtant, ces dernières semaines, la Cedeao avait multiplié les initiatives diplomatiques pour tenter d’éviter ce divorce annoncé. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait même été nommé médiateur en juillet pour plaider le maintien de ces trois pays au sein de l’organisation. Mais les efforts semblent vains, comme l’a souligné le communiqué commun des ministres des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) réunis à Niamey vendredi :
Tout en rappelant la décision irréversible des États de la Confédération de retrait de la Cedeao, les ministres engagent (…) à poursuivre les réflexions visant à convenir des modalités de sortie dans l’intérêt des populations de la Confédération.
Un camouflet pour la Cedeao à deux jours de son sommet à Abuja où la question du départ de ces trois pays devait justement être au cœur des discussions. Mais à ce stade, la présence de délégations du Niger, du Mali et du Burkina Faso apparaît plus qu’improbable.
Un retrait aux lourdes conséquences
Si ce retrait devenait effectif comme prévu en janvier 2025, conformément aux procédures de la Cedeao, les implications économiques et politiques seraient considérables pour la région. La libre circulation des personnes et des biens, principe fondateur de l’organisation, serait remise en cause. Un coup dur quand on sait que ces trois pays représentent un vaste marché de 72 millions d’habitants.
Au-delà des conséquences économiques, c’est l’équilibre géopolitique de toute la région qui pourrait être chamboulé. Déjà, les trois pays de l’AES ont multiplié les gestes de rapprochement comme la fin des frais d’itinérance entre eux. Surtout, ils ont fait le choix de se tourner vers de nouveaux partenaires jugés plus « sincères » à leurs yeux, au premier rang desquels la Russie.
La Cedeao impuissante face aux juntes
Cette crise illustre aussi les limites de la Cedeao face à la multiplication des coups d’État dans la région ces dernières années. L’organisation s’est montrée incapable d’empêcher les putschs successifs au Mali, au Burkina et plus récemment au Niger. Ses sanctions économiques et ses menaces d’intervention militaire au Niger sont restées lettre morte.
Pire, ces mesures sont apparues contre-productives, poussant ces juntes à resserrer leurs liens et à s’éloigner encore plus de l’organisation. Elles ont aussi nourri un sentiment anti-français dans ces pays, la Cedeao étant accusée d’être inféodée aux intérêts de l’ancienne puissance coloniale.
Vers une recomposition des alliances régionales ?
Ce départ annoncé des trois pays de l’AES pourrait accélérer une recomposition des dynamiques régionales en Afrique de l’Ouest. D’un côté, des régimes civils toujours membres de la Cedeao et globalement alignés sur les positions occidentales. De l’autre, une alliance de juntes militaires décidées à s’émanciper des influences étrangères et à nouer de nouveaux partenariats, notamment avec Moscou.
Cette crise pose aussi la question de l’avenir de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et du franc CFA. Les pays de l’AES en sont toujours membres mais ont évoqué à demi-mot une possible sortie à moyen terme. Un tel scénario achèverait d’enterrer le rêve d’intégration régionale porté par la Cedeao depuis près d’un demi-siècle.
Le sommet d’Abuja qui s’ouvre dimanche s’annonce donc crucial pour l’avenir de l’organisation. Mais à ce stade, les marges de manœuvre semblent bien minces pour infléchir la détermination des juntes du Sahel à tourner définitivement la page de la Cedeao. Un nouveau coup dur pour la stabilité d’une région déjà fragilisée par les crises sécuritaires et politiques à répétition.