Dans la nuit de mardi à mercredi, une camionnette blanche, escortée par des motards de la police et des véhicules aux gyrophares bleus, a franchi les grilles de l’Institut national de médecine légale de Tel-Aviv. À son bord : la dépouille d’un homme, probablement l’un des trois derniers otages dont les familles attendent encore le retour depuis la fin des combats à Gaza. Un moment à la fois solennel et insoutenable.
Un corps remis par le CICR : le début de la fin d’une attente interminable
Le Comité international de la Croix-Rouge a joué, une nouvelle fois, son rôle de messager dans l’ombre. C’est à Gaza même que les brigades palestiniennes ont remis le corps à une équipe du CICR, qui l’a immédiatement transféré aux soldats israéliens présents sur place. Quelques heures plus tard, la dépouille traversait la frontière pour être acheminée vers le seul endroit capable de dire avec certitude qui elle était.
Le Premier ministre israélien a publié un communiqué laconique : « Après avoir complété le processus d’identification, la famille sera formellement notifiée. » Aucun nom n’a filtré. Le silence officiel pèse comme une dalle de béton sur trois familles qui retiennent leur souffle depuis des semaines.
Les trois noms qui hantent Israël
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 10 octobre dernier, après plus de deux années de guerre, trois dépouilles manquaient encore à l’appel :
- Ran Gvili, officier d’une unité d’élite de la police du Néguev, tué alors qu’il défendait seul le kibboutz Aloumim, arme à la main, malgré une épaule en attente d’opération.
- Dror Or, chef cuisinier du kibboutz Beeri, abattu le 7 octobre 2023 en même temps que son épouse Yonat. Leurs enfants et leur neveu avaient été libérés lors de la première trêve.
- Sudthisak Rinthalak, ouvrier agricole thaïlandais originaire de la province de Nong Khai, assassiné lui aussi à Beeri alors qu’il travaillait dans les champs.
Trois hommes, trois histoires, trois familles suspendues à l’espoir fou que le corps remis cette nuit ne soit pas celui de leur proche… ou, au contraire, à l’espoir tout aussi douloureux qu’il le soit enfin, pour pouvoir faire leur deuil.
Des recherches sous les décombres et dans les zones sous contrôle israélien
Les brigades du Hamas et du Jihad islamique ont expliqué avoir retrouvé ce corps lundi « lors d’opérations de recherche dans des zones contrôlées par l’armée sioniste dans le centre de la bande de Gaza ». Une formulation qui en dit long sur la complexité du terrain : même après le cessez-le-feu, des membres armés palestiniens ont pu circuler dans des secteurs théoriquement sous contrôle israélien pour localiser les dépouilles.
Ce n’est pas la première fois. Au cours des dernières semaines, des représentants du Hamas ont déjà pénétré dans des zones tenues par Tsahal pour récupérer des corps d’otages. Une coopération forcée, presque surréaliste, entre deux camps qui se sont affrontés sans merci pendant plus de deux ans.
Les retards répétés dans la restitution des trois dernières dépouilles ont été dénoncés comme des violations du cessez-le-feu par les autorités israéliennes. Côté palestinien, on invoque la difficulté à fouiller des tonnes de gravats sans engins de déblaiement, dans un territoire ravagé par les bombardements.
« Dror, Ran et Sudthisak doivent revenir. Nous ne pouvons arrêter tant qu’ils ne seront pas de retour. »
Forum des familles d’otages
Ran Gvili, le policier qui n’aurait jamais dû être là
Ce matin du 7 octobre 2023, Ran Gvili était en arrêt maladie. Une épaule déchirée, une opération programmée. Mais quand les sirènes ont retenti et que les terroristes ont déboulé devant le kibboutz Aloumim, il n’a pas hésité. Il a pris son arme personnelle et s’est posté à l’entrée. Seul. Il a tenu jusqu’à ce qu’une balle l’atteigne mortellement.
Ses camarades de l’unité Yassam, ces policiers d’élite habitués aux interventions musclées, racontent encore comment il les avait tous sauvés en bloquant l’avancée des assaillants. Ran n’a jamais vu ses enfants grandir davantage. Sa sœur Shira répète inlassablement : « Mon frère me manque terriblement. Cette peur constante que son corps ne revienne jamais est épuisante. »
Dror et Yonat Or, l’amour fauché à Beeri
À Beeri, Dror Or était celui qui nourrissait tout le monde. Un chef talentueux, toujours souriant derrière ses fourneaux. Le 7 octobre, il a été exécuté avec son épouse Yonat devant leur maison. Leurs enfants Alma et Noam, ainsi que leur neveu Liam, ont été enlevés puis libérés lors de la trêve de novembre 2023. Ils attendent toujours de pouvoir enterrer leurs parents ensemble.
Chaque jour sans nouvelle est une nouvelle blessure. Les enfants ont grandi en captivité, sont revenus changés, et portent en eux cette absence définitive que seul un enterrement pourrait commencer à apaiser.
Sudthisak Rinthalak, le travailleur thaïlandais oublié
Parmi les victimes du 7 octobre, on parle moins des travailleurs étrangers. Pourtant, Sudthisak Rinthalak, 30 ans, originaire de la province rurale de Nong Khai, faisait partie de ces dizaines de Thaïlandais employés dans les champs israéliens. Il a été tué à Beeri alors qu’il tentait de fuir.
Son corps, comme ceux de plusieurs de ses compatriotes, a été emporté par les assaillants. Sa famille, à des milliers de kilomètres, suit l’actualité israélienne avec l’aide de traducteurs bénévoles, espérant un signe, une nouvelle, un retour.
Un cessez-le-feu fragile et des familles en suspens
L’accord conclu en octobre prévoyait la restitution de l’ensemble des otages, vivants ou morts. Des dizaines de corps ont déjà été rendus au fil des semaines. Mais ces trois derniers noms cristallisent toutes les tensions restantes. Chaque retard est perçu comme une provocation d’un côté, comme une difficulté technique de l’autre.
Ce corps remis mardi soir est le 26e rendu depuis la fin des hostilités actives. Il ne reste donc théoriquement que deux dépouilles à récupérer. Mais tant que l’identification n’est pas officielle, rien n’est terminé.
À Tel-Aviv, dans les couloirs froids de l’Institut de médecine légale, des experts travaillent sans relâche. Des fragments d’ADN, des dossiers dentaires, des cicatrices connues : tout sera passé au crible pour rendre un nom à ce corps.
Et quelque part en Israël ou en Thaïlande, une sonnerie de téléphone va retentir dans les prochaines heures. Une voix officielle prononcera un prénom. Et une famille basculera, enfin, dans le deuil véritable.
Parce qu’attendre un mort, c’est parfois plus dur que de le pleurer.









