Un procès d’une ampleur inédite s’est ouvert le 2 septembre dernier à la cour criminelle d’Avignon. Durant quatre longs mois, pas moins de 51 accusés, âgés de 27 à 74 ans, ont comparu pour viols en série. Au centre de ce dossier hors norme, une seule et unique victime : Gisèle Pelicot, 72 ans, dont le calvaire a duré plus de dix ans. Droguée à son insu par son mari, elle était violée par celui-ci puis livrée à des dizaines d’inconnus recrutés sur internet. Un procès pour l’Histoire qui s’est achevé ce jeudi avec le jugement très attendu.
Le symbole Gisèle Pelicot, d’anonyme à icône féministe
Dès le premier jour d’audience, Gisèle Pelicot a créé la surprise en refusant le huis clos « pour que la honte change de camp ». Un geste fort et éminemment politique pour celle qui était encore désignée de manière anonyme dans les médias. Quelques jours plus tard, nouveau coup d’éclat, Mme Pelicot renonce publiquement à son anonymat avec ses enfants et petits enfants : « On se souviendra de madame Pelicot, pas de monsieur », lance-t-elle à la barre.
Propulsée malgré elle égérie féministe, encensée par la presse étrangère, de l’Allemagne (« héroïne pour les femmes du monde entier » pour Der Spiegel) aux États-Unis (une « héroïne féministe » selon le New York Times), Gisèle Pelicot fait désormais partie du classement de la BBC des 100 femmes les plus influentes au monde. Une exposition mondiale qu’elle met à profit pour exhorter les femmes victimes de viol à briser le silence.
Des vidéos des viols inédites et déterminantes
Fait rarissime pour un procès de viols, des milliers de photos et de vidéos des agressions subies par Gisèle Pelicot existaient, soigneusement conservées par son ex-mari Dominique. Des images « indécentes et choquantes » qu’il a d’abord été question d’épargner au public et à la presse. Mais face à l’insistance des avocats de la partie civile, le président a finalement autorisé leur diffusion, offrant une preuve accablante du calvaire enduré par la septuagénaire.
20 ans requis contre le « chef d’orchestre » des viols
Dans leurs réquisitions, les procureurs ont réclamé la peine maximale de 20 ans de réclusion contre Dominique Pelicot, le « chef d’orchestre » du système de viols, et de 10 à 18 ans contre ses 50 co-accusés, pour un total de 652 années de prison. Un réquisitoire « testament » qui restera dans les annales selon l’accusation.
Ce jugement constituera « un message d’espoir aux victimes de violences sexuelles », assure la vice-procureure Laure Chabaud, mais aussi un guide « dans l’éducation de nos fils, car c’est par l’éducation que s’impulsera le changement » pour « une prise de conscience collective, sociétale ».
« L’autre Dominique » et des accusés « manipulés »
En face, la défense a tenté de mettre en lumière « l’autre Dominique », poussé dans la « perversité » par un viol subi enfant, tandis que les avocats des 50 autres accusés ont plaidé la « manipulation » par « l’ogre » Dominique Pelicot, qui leur aurait fait croire que son épouse faisait semblant de dormir.
« C’est très dur pour nous de parler car on a une partie civile qui est une icône », résume une avocate de la défense, regrettant un procès « pour l’histoire » et mettant en garde contre une « erreur judiciaire ».
Une autre victime « oubliée » ?
Un temps laissé dans l’ombre, Caroline, la fille du couple Pelicot, sort du silence à la mi-novembre : elle aussi a été photographiée nue et inconsciente, les photos diffusées sur internet. Persuadée d’avoir été droguée et violée par son « géniteur », comme sa mère, elle s’estime « la grande oubliée » du procès faute de preuves. « Tu mourras dans le mensonge », lance-t-elle à son père à la barre.
La cour rendra son jugement ce jeudi après 4 mois d’une audience qui aura remué la France, charriant son lot de condamnations, d’espoir et de douleur. Il pourrait permettre à Gisèle Pelicot comme à d’autres victimes de tourner une page sombre. Avec en toile de fond l’espoir d’un électrochoc dans la société face aux violences sexuelles faites aux femmes.