C’est un nom qui résonne comme un cri. Yarmouk. Cet ancien camp de réfugiés palestiniens, situé dans la banlieue de Damas, fut autrefois un havre de paix pour plus de 160 000 âmes. Mais la guerre qui a déchiré la Syrie pendant plus de 13 ans a transformé ce quartier en un champ de ruines, théâtre des pires exactions du régime d’Assad. Aujourd’hui, les rares habitants ayant survécu à l’enfer brisent le silence sur leur calvaire.
Dans les décombres, la mémoire des crimes
Parmi eux, Mahmoud Khaled Ajaj, un Palestinien tout juste libéré après 7 ans d’incarcération dans les geôles du régime. Cet ancien combattant de l’Armée syrienne libre, qui luttait contre les forces d’Assad, a connu les pires sévices. Aujourd’hui, il peine à marcher, soutenu par une ceinture lombaire. Un jour, un médecin de la prison lui a injecté un produit dans la colonne vertébrale, le paralysant partiellement. Un acte délibéré, pense-t-il.
Mais ce qui hante surtout Mahmoud, c’est la faim qui le rongeait dans sa cellule surpeuplée. « Mes voisins et ma famille savent que j’ai manqué de nourriture, alors ils m’apportent à manger. Je ne dors pas si je n’ai pas de pain près de moi. Surtout le pain », confie-t-il, la voix brisée.
Des balles pour seul salaire
Haitham Hassan al-Nada, lui, avait été enrôlé de force dans l’armée syrienne. Refusant de servir un régime qu’il jugeait illégitime, ce Palestinien de 28 ans a déserté. Mais un jour, il s’est fait prendre. Les forces gouvernementales lui ont alors tiré dessus à plusieurs reprises, le laissant pour mort au bord de la route. « Ils ont appelé ma mère après m’avoir +tué+, alors elle est allée sur la route de l’aéroport. Ils lui ont dit : +Voici le corps de ce chien, le déserteur+ », raconte-t-il, invitant à toucher les cicatrices laissées par les balles sur son crâne et ses mains.
L’école, vestige d’une vie brisée
Dans les ruines de Yarmouk, même les murs de l’école portent les stigmates de la barbarie. Dans une salle de classe poussiéreuse, un tableau montre les dernières traces d’un cours d’anglais datant du 18 octobre 2012. « Je joue au football », « Elle mange une pomme », peut-on encore y lire. Mais dehors, les rares enfants survivants jouent désormais au milieu des gravats et des ruines.
Le douloureux combat des familles de disparus
Pendant que Mahmoud racontait son histoire à un journaliste, deux Palestiniennes se sont approchées pour lui demander s’il avait des nouvelles de leurs proches disparus. Car le sort des disparus reste l’une des plaies béantes laissées par cette guerre qui a fait plus de 500 000 morts. Beaucoup de familles cherchent encore désespérément des réponses.
Yarmouk, symbole d’une tragédie sans fin
Créé dans les années 1950 pour accueillir les Palestiniens chassés de leurs terres après la création d’Israël, Yarmouk était devenu au fil des décennies un important quartier résidentiel et commercial. Mais pendant la guerre, cette zone rebelle puis jihadiste a été assiégée et bombardée sans relâche par le régime. Si Assad est tombé il y a deux semaines, les plaies de Yarmouk, elles, mettront du temps à se refermer. Les souvenirs des exactions et des privations resteront à jamais gravés dans la chair et la mémoire des survivants.
Ainsi, à travers les décombres de Yarmouk, c’est toute l’horreur d’une guerre sans merci qui se dévoile. Une guerre dans laquelle les civils, et notamment les réfugiés palestiniens, ont payé le prix fort. Aujourd’hui, leurs voix brisées s’élèvent pour que leur calvaire ne tombe pas dans l’oubli. Pour que plus jamais, Yarmouk ne soit synonyme de l’inhumanité des hommes.
