Selon une information obtenue d’une source proche du dossier, une commissaire européenne a rencontré vendredi dernier à Damas le nouveau dirigeant syrien Ahmad al-Chareh. Hadja Lahbib, en charge de la gestion des crises à la Commission européenne, s’est dite impressionnée par la volonté de l’homme fort de la Syrie de pacifier son pays et d’en faire un allié de l’Europe.
Un « homme pragmatique » prêt à l’apaisement
Au cours d’un entretien avec l’AFP suite à cette visite diplomatique, Mme Lahbib a livré ses impressions sur le nouveau maître de Damas :
Mon impression est celle d’un homme pragmatique et transactionnel, prêt à travailler à l’apaisement en Syrie et à sa reconstruction.
Un constat « vraiment encourageant » selon la commissaire, même si elle attend désormais des actes concrets de la part du régime issu des rangs d’Al-Qaïda. Ahmad al-Chareh multiplie en effet les gestes d’ouverture depuis qu’il a conquis la capitale syrienne sans réelle opposition le 8 décembre dernier.
Rompre avec le djihadisme
Le nouveau pouvoir, dominé par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), affirme avoir rompu avec le djihadisme. Une évolution saluée avec prudence par la diplomate européenne :
Bien sûr, on a le droit de ne pas y croire. Mais il est important de ne pas abandonner la Syrie au moment où elle en a le plus besoin. Aidons-la, mais sans être naïfs.
Une aide humanitaire d’urgence
En gage de bonne volonté, Hadja Lahbib a annoncé le déblocage d’une aide humanitaire d’urgence de 235 millions d’euros pour la Syrie et ses voisins. Une enveloppe destinée à couvrir les besoins de base d’une population éreintée par une décennie de guerre et des années de répression brutale :
- Eau potable
- Alimentation
- Logement d’urgence
La commissaire européenne a aussi rencontré des représentants de la société civile syrienne qui ont « beaucoup d’attentes » mais « veulent y croire ». Un optimisme fragile qu’il faudra entretenir par des réformes rapides, au risque de voir la contestation repartir de plus belle.
Un « discours sans faute » mais des points d’interrogation
Pendant deux heures, Ahmad al-Chareh aurait tenu « un discours sans faute », promettant notamment de :
- Réunir une conférence nationale réunissant toutes les composantes du pays multi-confessionnel
- Nommer une femme à la tête de la Banque centrale syrienne
En revanche, le dirigeant syrien est resté évasif sur le sort des deux bases russes en Syrie, dont plusieurs pays européens réclament le démantèlement. Point central des discussions : la levée des sanctions européennes contre la Syrie, préalable selon al-Chareh à la reconstruction du pays dévasté.
Vers un assouplissement des sanctions ?
Le sujet devrait être à l’ordre du jour du prochain Conseil des ministres européens des Affaires étrangères le 27 janvier. Plusieurs États membres, dont l’Allemagne et la France, plaident pour un allègement des mesures visant le système bancaire et financier syrien.
Une demande relayée mercredi dernier par le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, qui a appelé à un assouplissement « urgent » des sanctions internationales lors de sa visite à Damas.
L’Europe, futur « allié » de la Syrie ?
Au-delà de l’urgence humanitaire, le nouveau maître de Damas chercherait à nouer un « partenariat » avec l’Europe dont il voudrait faire un allié au Moyen-Orient selon Mme Lahbib. Un pari osé pour ce pays encore largement vu comme un paria sur la scène internationale, mais qui semble vouloir jouer la carte du pragmatisme pour rompre son isolement.
L’implication européenne dans la reconstruction syrienne, si elle se confirme, pourrait bouleverser les équilibres géopolitiques régionaux. Reste à savoir si les actes d’Ahmad al-Chareh seront à la hauteur de ses promesses. Le chemin vers la normalisation s’annonce encore long et semé d’embûches pour Damas.