Imaginez un homme qui possédait le Chrysler Building à New York, des grands magasins historiques en Europe et des gratte-ciel dans les plus grandes capitales. Un homme dont la fortune personnelle dépassait les milliards d’euros il y a encore quelques années. Et pourtant, ce mercredi, cet homme vient de franchir pour la deuxième fois la porte d’un tribunal autrichien pour entendre une condamnation à de la prison. René Benko, l’ancien roi de l’immobilier, continue sa descente aux enfers.
Une nouvelle condamnation qui alourdit le dossier
Le tribunal d’Innsbruck a tranché : quinze mois de prison avec sursis pour fraude. Le motif ? Avoir dissimulé, avec l’aide présumée de proches, environ 370 000 euros en liquidités, montres de luxe et bijoux dans un coffre-fort afin de les soustraire aux créanciers. Un montant qui peut paraître dérisoire face à l’ampleur de la catastrophe Signa, mais qui symbolise parfaitement la volonté de préserver un train de vie fastueux même au bord du gouffre.
Sa femme, Nathalie Benko, poursuivie pour complicité, a bénéficié du doute et a été acquittée. Le juge a estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes pour établir sa participation active. Une demi-victoire pour le couple, mais qui ne change rien à la situation de l’ex-magnat.
Déjà la deuxième fois en quelques semaines
Ce n’est pas la première fois que René Benko se retrouve sur le banc des accusés. Mi-octobre, le même tribunal l’avait condamné à deux ans de prison (dont une partie ferme potentielle) pour avoir caché environ 660 000 euros d’actifs. Parmi les faits reprochés : un virement de 300 000 euros à sa mère fin 2023 pour maintenir son niveau de vie, et un paiement anticipé de 360 000 euros de loyers et charges sur plusieurs années.
Il avait été relaxé pour ce dernier point, mais la condamnation principale était tombée. Deux condamnations en moins de deux mois : le message judiciaire est clair. Les juges autrichiens ne laissent rien passer.
Signa : la plus grande faillite récente d’Autriche
Pour comprendre l’ampleur du séisme, il faut revenir à la genèse. Fondée en 2000 par un jeune entrepreneur autrichien sans diplôme universitaire, Signa Holding était devenue en vingt ans l’un des plus gros acteurs immobiliers d’Europe. Le groupe possédait des actifs prestigieux : le Chrysler Building, des parts dans les grands magasins KaDeWe à Berlin, Selfridges à Londres, Globus en Suisse ou encore le Lamarr à Vienne.
Puis vint la crise. Hausse des taux d’intérêt, explosion des coûts de construction, chute de la valeur des actifs commerciaux post-Covid : tout s’est enchaîné. Fin 2023, Signa déposait le bilan. Le montant des créances ? Plusieurs milliards d’euros. Des banques autrichiennes et allemandes aux fonds souverains des Émirats arabes unis et de Thaïlande, des milliers de créanciers attendent encore leur argent.
La faillite Signa reste à ce jour la plus importante de l’histoire récente de l’Autriche et l’une des plus retentissantes en Europe ces dernières années.
Quatorze enquêtes en cours
Les deux condamnations ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le parquet autrichien a ouvert pas moins de quatorze volets d’enquête distincts autour de l’effondrement de Signa. Plus de dix autres personnes sont également dans le viseur de la justice : anciens dirigeants, membres des conseils de surveillance, conseillers.
Parmi les noms qui reviennent souvent figurent d’anciennes figures politiques de premier plan. L’ex-chancelier social-démocrate Alfred Gusenbauer et l’ancienne vice-chancelière d’extrême droite Susanne Riess-Hahn siégeaient dans les organes de gouvernance du groupe. Sebastian Kurz, l’ex-chancelier conservateur et étoile montante de la politique autrichienne avant sa propre chute, entretenait également des liens étroits avec René Benko.
Ces connexions au sommet de l’État alimentent les soupçons de favoritisme, de passe-droit et d’influence politique. Chaque révélation fait l’effet d’une bombe dans la presse autrichienne.
Du sommet à la case prison : la chute d’un self-made-man
René Benko incarnait le rêve autrichien : parti de rien, il avait bâti un empire à la force du poignet. À 40 ans à peine, il figurait parmi les hommes les plus riches du pays. Les magazines people le photographiaient sur son yacht ou dans ses résidences de luxe. Il était invité aux galas, recevait les politiques, collectionnait les actifs comme d’autres collectionnent les timbres.
Aujourd’hui, l’image est radicalement différente. L’homme qui possédait des immeubles entiers se bat pour éviter la prison ferme. Ses biens personnels sont saisis ou surveillés. Ses anciennes relations politiques se font discrètes. Le self-made-man est devenu le symbole de l’excès et de l’endettement irresponsable.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Les deux condamnations prononcées jusqu’à présent sont assorties de sursis ou partiellement de sursis. Cela signifie que René Benko n’ira pas immédiatement derrière les barreaux. Mais chaque nouvelle procédure peut alourdir la peine globale. Et avec quatorze enquêtes en cours, le risque d’une condamnation à de la prison ferme reste bien réel.
Par ailleurs, les liquidateurs de Signa continuent de passer au peigne fin les comptes du groupe. Chaque jour apporte son lot de découvertes : prêts accordés sans garantie suffisante, montages financiers complexes, transferts d’actifs à la dernière minute. Tout est scruté.
Pour les milliers de créanciers, l’espoir de récupérer ne serait-ce qu’une partie de leur mise s’amenuise. Beaucoup savent déjà qu’ils ne reverront jamais la totalité de leur argent.
Une affaire qui dépasse largement l’Autriche
L’affaire Signa n’est pas seulement autrichienne. Des investisseurs du Golfe, d’Asie du Sud-Est, d’Allemagne et de Suisse sont touchés. Des emplois ont été supprimés dans les grands magasins du groupe. Des chantiers immobiliers sont à l’arrêt. Les répercussions économiques se font sentir dans plusieurs pays.
Sur le plan symbolique, cette chute rappelle d’autres grandes faillites récentes : Evergrande en Chine, Wirecard en Allemagne. Des empires bâtis sur de la dette et des effets de levier démesurés qui finissent par s’écrouler quand les taux remontent et que la confiance disparaît.
René Benko n’est pas le premier magnat à tomber de si haut. Il ne sera probablement pas le dernier. Mais son histoire, avec ses ramifications politiques et son ampleur européenne, restera comme l’un des grands scandales financiers de cette décennie.
En résumé : Deux condamnations en deux mois, quinze mois de prison avec sursis pour la dernière en date, quatorze enquêtes toujours ouvertes, des milliards d’euros de créances en souffrance et un empire réduit en cendres. La saga René Benko est loin d’être terminée.
Suivez l’évolution de cette affaire hors norme. Car chaque audience, chaque nouvelle révélation, écrit un nouveau chapitre de cette incroyable descente aux enfers d’un homme qui voulait posséder le monde… et qui risque désormais de tout perdre.









