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Rencontre Sánchez-Akhannouch : Le Sahara Occidental au Cœur

Ce jeudi à Madrid, Pedro Sánchez reçoit Aziz Akhannouch. Sahara occidental, gestion de l’espace aérien, chute de 29 % des arrivées irrégulières… Mais derrière les sourires diplomatiques, quelles concessions l’Espagne est-elle prête à faire à Rabat ? La réponse risque de faire trembler les équilibres régionaux.

Imaginez deux hommes qui, il y a encore trois ans, ne se parlaient presque plus. Aujourd’hui, ils se serrent la main sous les dorures madrilènes comme si le temps avait effacé les rancœurs. Jeudi, Pedro Sánchez accueille Aziz Akhannouch pour la treizième réunion bilatérale de haut niveau entre l’Espagne et le Maroc. Et derrière les sourires de circonstance, un dossier brûlant domine tous les autres : le Sahara occidental.

Un revirement historique qui a tout changé

Retour en arrière rapide. Avril 2021 : l’Espagne accueille discrètement Brahim Ghali, leader du Front Polisario, pour des raisons humanitaires. Rabat le vit comme une trahison. Ambassadeur rappelé, frontières fermées, et des milliers de migrants poussés vers Ceuta en quelques heures. La crise est totale.

Mais en mars 2022, tout bascule. Madrid annonce publiquement soutenir le plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental. Exit la neutralité historique de l’Espagne sur ce territoire qu’elle a colonisé jusqu’en 1975. Le geste est perçu comme une victoire majeure pour le Maroc, qui contrôle déjà 80 % de cette ancienne colonie espagnole riche en phosphates et en zones de pêche.

Depuis, les relations sont au beau fixe. Treize réunions de haut niveau en quelques années, un record. Et chaque fois, le Sahara occidental reste la toile de fond, même quand on parle commerce ou sécurité.

L’espace aérien, le nouveau terrain de négociation

Cette fois, Rabat veut aller plus loin. Le Maroc souhaite récupérer la gestion de l’espace aérien au-dessus du Sahara occidental, actuellement contrôlée par l’Espagne depuis les Canaries. Un sujet technique ? Pas seulement.

Pour le Maroc, céder cet espace reviendrait à reconnaître de facto sa souveraineté sur le territoire. Ryad Mezzour, ministre marocain du Commerce, l’a dit sans détour : « Lorsqu’un territoire est sous la souveraineté d’un pays, il est préférable que ce pays gère lui-même ses affaires aériennes, terrestres et maritimes. »

« Lorsqu’un territoire est sous la souveraineté d’un pays, il est préférable que ce pays gère lui-même ses affaires aériennes, terrestres et maritimes. »

Ryad Mezzour, ministre marocain du Commerce

L’Espagne, elle, marche sur des œufs. Accepter serait un pas supplémentaire vers la reconnaissance pleine et entière de la marocanité du Sahara. Refuser risquerait de tendre à nouveau les relations, alors que la coopération sécuritaire n’a jamais été aussi efficace.

Migration : des chiffres qui parlent

Car oui, le Maroc est devenu un partenaire incontournable sur un autre dossier explosif : l’immigration irrégulière. Les chiffres de 2025 sont éloquents. Sur les onze premiers mois de l’année, l’Espagne a enregistré 34 251 arrivées par voie maritime ou terrestre, contre 56 976 sur la même période en 2024. C’est une baisse de 29 %.

Évolution des arrivées irrégulières en Espagne
2024 (janv-nov) : 56 976 personnes
2025 (janv-nov) : 34 251 personnes
Baisse : -29 %

Ce succès, Madrid le doit en grande partie à la coopération marocaine. Rabat a renforcé ses contrôles le long de ses côtes et aux abords de Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles sur le sol africain. En échange, l’Espagne ferme les yeux sur certaines exigences marocaines. Un donnant-donnant qui fonctionne, mais qui pose question sur la durée.

Car derrière ces chiffres se cachent des milliers de vies. Des jeunes qui rêvent d’Europe et se heurtent à des barrières toujours plus hautes. La baisse des arrivées est une bonne nouvelle pour les statistiques gouvernementales, mais elle signifie aussi que les routes migratoires se déplacent, deviennent plus dangereuses, plus mortelles.

Le Sahara occidental, toujours en suspens aux Nations unies

Officiellement, rien n’a changé. L’ONU considère toujours le Sahara occidental comme un territoire non autonome. Le Conseil de sécurité continue de soutenir le processus politique sous l’égide de l’envoyé spécial Staffan de Mistura. Mais dans les faits, le plan d’autonomie marocain gagne du terrain.

Depuis 2022, plusieurs pays européens ont suivi l’Espagne : la France en juillet 2024, l’Allemagne avant elle. Même les États-Unis, sous Trump déjà, avaient reconnu la souveraineté marocaine en échange de la normalisation avec Israël. Le Front Polisario, lui, se retrouve de plus en plus isolé, soutenu principalement par l’Algérie.

La réunion de Madrid ne changera pas le statut juridique du territoire. Mais chaque accord, chaque geste diplomatique renforce un peu plus la position marocaine sur le terrain. Et l’Espagne, ancienne puissance coloniale, joue un rôle central dans cette recomposition géopolitique.

Ceuta et Melilla, les autres points chauds

On en parle moins, mais les deux enclaves espagnoles restent une épine dans le pied des relations bilatérales. Le Maroc ne reconnaît pas la souveraineté espagnole sur Ceuta et Melilla et continue de les considérer comme des territoires occupés.

En 2021, la crise migratoire avait précisément commencé là. Des milliers de personnes avaient franchi les frontières en quelques heures, avec la complicité à peine voilée des autorités marocaines. Aujourd’hui, la situation est calme. Trop calme ? Beaucoup à Madrid craignent que Rabat n’utilise à nouveau cette carte si les négociations sur l’espace aérien ou d’autres dossiers coincent.

Une rencontre sous haute tension feutrée

Jeudi, plusieurs accords seront signés. Commerce, énergie, culture peut-être. Mais tout le monde sait que les vraies discussions se dérouleront à huis clos. L’espace aérien. La délimitation des eaux territoriales. La coopération judiciaire. Et toujours, en toile de fond, le Sahara occidental.

L’Espagne veut garder un équilibre délicat : soutenir le Maroc sans froisser l’Algérie, partenaire énergétique important ; coopérer sur la migration sans apparaître comme le sous-traitant de Rabat ; avancer sur le Sahara sans reconnaître officiellement la souveraineté marocaine.

Le Maroc, lui, avance ses pions avec patience et détermination. Chaque réunion bilatérale est une étape. Chaque concession arrachée, un précédent. Et cette treizième rencontre de haut niveau pourrait bien marquer un tournant discret mais décisif.

Car au-delà des communiqués lisses et des photos officielles, c’est toute la carte du Maghreb qui se redessine. Lentement. Silencieusement. Et Madrid, qu’on le veuille ou non, en est l’un des architectes.

À suivre, donc. Très attentivement.

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