Les relations tumultueuses entre la France et l’Algérie sont au cœur de l’actualité diplomatique des derniers mois. Dans ce contexte tendu, le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau a accordé une interview à l’Express où il appelle à « tourner la page » et à normaliser les rapports avec l’ancien pays colonisé.
Un passé colonial qui pèse sur le présent
Près de 60 ans après l’indépendance de l’Algérie, l’ombre de la colonisation française plane toujours sur les relations entre les deux pays. Pour Bruno Retailleau, il est temps d’objectiver les faits et de construire des liens apaisés et réciproques :
Nous devons retrouver un regard équilibré sur la période coloniale. La colonisation, c’est bien sûr des pages sombres qu’il faut dénoncer, et nous l’avons fait. Il y a eu aussi, je le dis, des apports et des liens qui se sont créés.
Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur
Le ministre estime qu’il faut « faire en sorte qu’on entre enfin dans une relation d’égal à égal, sans arrière-pensée, dépourvue de cette idée d’un droit de tirage perpétuel sur la mémoire pour reprocher à la France les événements passés ». Une façon d’appeler l’Algérie à cesser d’instrumentaliser l’histoire coloniale dans les rapports actuels.
Des accords « datés et déséquilibrés » ?
Malgré sa volonté affichée d’apaisement, Bruno Retailleau n’en oublie pas pour autant les intérêts français. Il répète ainsi son souhait de revoir les accords franco-algériens de 1968, qu’il juge « datés et déséquilibrés ». Ce texte, qui prime sur le droit français, accorde un statut spécial aux ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi.
La renégociation de cet accord risque cependant de se heurter aux réticences d’Alger, qui y voit un acquis de l’indépendance. Une source de friction supplémentaire entre les deux pays, alors que les dossiers problématiques se sont multipliés ces derniers mois.
Une accumulation de tensions
Depuis l’été dernier, une série de désaccords a en effet plombé les relations franco-algériennes :
- Le soutien de la France au plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental, territoire revendiqué par l’Algérie
- Le refus de l’Algérie d’accueillir un influenceur algérien expulsé de France
- L’incarcération depuis novembre de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal en Algérie
Autant de points de crispation qui rendent difficile la normalisation souhaitée par Bruno Retailleau. D’après une source diplomatique, le chemin vers la réconciliation s’annonce long et semé d’embûches, malgré la bonne volonté affichée côté français.
Reconstruire une « fierté française »
Au-delà du cas algérien, Bruno Retailleau voit dans les relations compliquées avec les ex-colonies le symptôme d’un mal plus profond touchant l’identité française. Interrogé sur le « sentiment anti-français », il déplore un « récit culpabilisant » et une « repentance » qui auraient fini par saper la fierté nationale.
Nous avons proposé un récit culpabilisant, la repentance, qui a fini par atteindre cette fierté française. Il nous faut reconstruire cette fierté française.
Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur
Un discours qui fait écho aux thèses développées par certains intellectuels et responsables politiques sur un supposé « désamour » des Français pour leur propre pays et leur histoire. Bruno Retailleau semble en tout cas déterminé à insuffler un nouveau narratif dans les relations post-coloniales, quitte à bousculer certains non-dits et à raviver d’anciennes controverses.
La normalisation des relations franco-algériennes passera-t-elle par ce changement de logiciel? Rien n’est moins sûr, tant les blessures de l’histoire demeurent vives des deux côtés de la Méditerranée. Mais l’appel du ministre de l’Intérieur a le mérite de poser les termes d’un débat aussi sensible que nécessaire entre la France et son ancien empire colonial.