Dans l’ombre des prochains Jeux Olympiques de Paris, un autre enjeu agite les couloirs des commissariats. La réforme de la garde à vue, publiée discrètement au Journal Officiel le 22 avril dernier, suscite l’ire des policiers. Accusé de faire la part belle aux personnes mises en cause, ce texte ravive les tensions entre l’institution policière et le ministère de la Justice.
Une transposition européenne contestée
Fruit de la transposition d’une directive européenne visant à renforcer les droits de la défense, la loi du 22 avril 2024 accorde de nouvelles prérogatives aux avocats intervenant en garde à vue. Un texte qui s’inscrit dans le prolongement du mouvement législatif initié par la loi Guigou du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence.
Mais pour les organisations syndicales policières, cette énième réforme va trop loin. “Cette loi donne un pouvoir supplémentaire aux avocats pour bloquer les auditions, au détriment du travail d’enquête et du droit des victimes”, s’insurge un responsable de Synergie-Officiers.
Des craintes pour l’efficacité des enquêtes
Concrètement, les policiers redoutent que les nouveaux droits octroyés aux mis en cause ne viennent entraver la manifestation de la vérité. Parmi les mesures décriées :
- La possibilité pour l’avocat d’intervenir dès le début de la garde à vue
- L’accès du conseil au dossier de procédure dans son intégralité
- Le droit de s’entretenir avec le suspect pendant les interruptions d’audition
Autant de dispositions qui, selon les enquêteurs, risquent de favoriser la concertation entre les mis en cause et de verrouiller leurs déclarations. “Avec cette loi, on va droit vers une américanisation de notre procédure pénale”, redoute Jean-Paul Mégret, numéro 2 du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).
Le ministère temporise, les syndicats s’impatientent
Face à la bronca policière, la Chancellerie tente de calmer le jeu. Une circulaire d’application serait en préparation pour clarifier les contours du texte avant son entrée en vigueur le 1er juin. Mais nombreux sont ceux, chez les magistrats comme dans la police, qui jugent ce délai trop court et craignent un flou juridique.
On marche sur la tête ! Entre la lutte antiterroriste, les violences urbaines et maintenant ça, on ne nous donne pas les moyens de travailler correctement.
Un officier de la PJ parisienne
Alors que les tensions montent à l’approche des JO, certains sonnent déjà la révolte. Le spectre d’une fronde des gardiens de la paix plane à nouveau, deux ans après une crise policière marquée par des manifestations inédites. De quoi fragiliser encore un peu plus le quinquennat d’Emmanuel Macron sur le terrain régalien.
Le bras de fer ne fait que commencer entre la Place Beauvau et les syndicats policiers. Mais dans ce rapport de force, le gouvernement semble pour l’heure bien isolé. Pris en étau entre les exigences européennes et la grogne des forces de l’ordre, Éric Dupond-Moretti joue une partition délicate. Face à la pression de Bruxelles et des instances judiciaires, le ministre parviendra-t-il à renouer le dialogue avec une institution policière à fleur de peau ? L’avenir le dira. En attendant, le malaise est palpable dans les commissariats de l’Hexagone.