Tout juste réélu pour un second mandat à la tête de la République Démocratique du Congo, le président Félix Tshisekedi agite depuis quelques semaines l’idée d’une profonde réforme constitutionnelle. Une initiative qui ne manque pas de soulever des interrogations, voire des critiques au sein de la classe politique congolaise. L’opposition y voit la une manœuvre du chef de l’État pour s’ouvrir la voie vers un troisième mandat et ainsi « s’éterniser au pouvoir ».
Un projet aux contours flous qui inquiète
Depuis sa large réélection en décembre dernier, le président Tshisekedi distille des indices sur ses velléités de réforme de la loi fondamentale, sans pour autant dévoiler clairement ses intentions. Veut-il simplement modifier certaines dispositions de l’actuelle Constitution datant de 2006 ? Ou ambitionne-t-il carrément de faire adopter un nouveau texte ? Le flou artistique demeure pour l’heure.
Lors de ses récentes visites à l’intérieur du pays, le chef de l’État s’est contenté d’évoquer la nécessité d’avoir une « Constitution adaptée aux réalités » de la RDC, jugeant l’actuelle « dépassée » car « élaborée à l’étranger par des étrangers ». Il a annoncé la mise sur pied dès 2024 d’une commission nationale chargée de plancher sur le sujet, sans plus de précisions sur le calendrier.
Il ne s’interdit rien, révision ou changement de Constitution. Les motivations ne sont pas claires alors il y a suspicion.
Auguste Mampuya, professeur de droit public et ancien constituant
Vers un référendum pour contourner le verrou des deux mandats ?
Au cœur des inquiétudes de l’opposition : la limitation à deux mandats présidentiels de 5 ans, un article actuellement « verrouillé » ne pouvant en théorie faire l’objet d’aucune révision. Les détracteurs de Tshisekedi l’accusent de vouloir supprimer ce verrou pour se maintenir au pouvoir au-delà de 2028.
De son côté, le président a suggéré qu’en cas de changement de Constitution, il passerait par la voie d’un référendum. « Il revient au peuple de décider et non au président » a-t-il déclaré, rappelant que le texte actuel conditionne toute révision à une approbation populaire, sauf si le projet est voté à la majorité des 3/5e au Parlement, où son camp est ultra-majoritaire.
Mais pour ses adversaires, il s’agirait d’un « coup d’État constitutionnel » visant à s’affranchir de la limitation des mandats. Les principaux opposants ont d’ores et déjà promis des « manifestations citoyennes » à travers le pays si Tshisekedi venait à franchir cette ligne rouge. Ce dernier a fermement démenti en meeting vouloir briguer un 3e mandat, appelant à se méfier d’une opposition « qui n’a rien à proposer ».
L’hypothèse d’un piège politique pour diviser l’opposition
Au-delà d’une réelle volonté de réforme, certains observateurs voient surtout dans cette initiative une manœuvre politique de Félix Tshisekedi pour diviser ses opposants. En lançant ce débat dès maintenant, le président pousserait ses adversaires à se positionner prématurément pour les 5 prochaines années :
- Soit le choix assumé de rallier l’opposition et de s’opposer frontalement au pouvoir
- Soit la décision de rester dans le camp présidentiel en pariant sur un maintien durable de Tshisekedi aux affaires
Un « débat d’usure » qui permettrait au chef de l’État de clarifier les loyautés au sein d’une classe politique congolaise notoirement versatile et de mieux préparer la suite de son règne. D’autant que l’état de siège en vigueur dans l’est du pays complique juridiquement la tenue d’un référendum, la Constitution prohibant toute révision en temps de crise.
Cette réforme constitutionnelle annoncée par Félix Tshisekedi apparaît donc à ce stade davantage comme un outil politique pour consolider son pouvoir que comme un véritable projet de société. Mais dans un pays habitué aux crises et aux bras de fer politiques, le spectre des tensions et de la rue n’est jamais loin dès lors qu’on touche au totem de la Constitution et de l’alternance. L’avenir dira si le président congolais est prêt à ouvrir cette boîte de Pandore pour un troisième mandat.