Le Gabon vit un moment charnière de son histoire politique. A deux jours du référendum constitutionnel prévu ce samedi, la campagne bat son plein dans tout le pays. Des panneaux appelant à voter « oui » fleurissent dans les rues de Libreville et Lambaréné, tandis que les opposants à la nouvelle loi fondamentale peinent à faire entendre leur voix. Les enjeux de cette consultation, étape-clé de la transition promise par la junte militaire, sont majeurs pour l’avenir du pays.
Une Constitution taillée pour le pouvoir en place ?
Fruit d’un dialogue national organisé en avril, le texte soumis au vote des Gabonais consacre un régime présidentiel fort, sans Premier ministre. Il limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais ceux-ci passent à 7 ans, renouvelables une fois. Certaines dispositions, comme le mariage réservé à un homme et une femme, ne pourront faire l’objet d’aucune révision future.
Surtout, la nouvelle Constitution grave dans le marbre la prise de pouvoir par les militaires en août 2023 et exonère les putschistes de toute poursuite. De quoi laisser penser que le texte est taillé pour le général Brice Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles pour 2025.
Une campagne à sens unique
Dans ce contexte, difficile pour les opposants de se faire entendre. Alors que les affiches appelant à voter « oui » tapissent l’espace public, celles en faveur du « non » se font rares. Pour Alain Claude Bilie-By-Nze, dernier chef du gouvernement sous Ali Bongo, il s’agit de dire « non à la légalisation du coup d’État dans la Constitution ».
Mais sa plateforme « Ensemble pour le Gabon » peine à mobiliser, face au rouleau compresseur des partisans du « oui ». Casquettes vissées sur la tête, t-shirts sur le dos, ces derniers quadrillent le terrain pour appeler les électeurs à se rendre aux urnes et « faire avancer le pays ».
Je vais voter oui parce qu’il faut qu’on avance. Cette Constitution, c’est donner des instructions aux futures générations pour qu’on aille de l’avant.
Bernard Mambenda, retraité à Lambaréné
Des Gabonais partagés
Pour autant, tous les électeurs ne sont pas convaincus. Beaucoup pointent le manque d’explications sur les enjeux du texte, publié il y a moins d’un mois. D’autres s’interrogent sur la nécessité de modifier la Constitution dans un pays en crise, miné par la corruption et les inégalités.
Beaucoup de gens sont moins renseignés sur ce qu’est un référendum. Il aurait fallu qu’ils viennent nous expliquer ça de manière simple.
Neil Amédé Ngonga, DJ de 25 ans à Lambaréné
Reste que samedi, les près de 800 000 électeurs gabonais sont appelés à faire un choix crucial pour l’avenir de leur pays. Un budget de 27 milliards de francs CFA (41 millions d’euros) a été débloqué pour l’organisation du scrutin, auquel sont conviés des observateurs internationaux.
Pour encourager la participation, deux jours fériés ont été décrétés et les électeurs pourront changer de bureau de vote pour pallier d’éventuels problèmes de transport. Une manière pour le pouvoir de s’assurer la plus large adhésion possible à son projet, dans un pays où l’abstention est traditionnellement élevée.
Un test grandeur nature pour la junte
Au-delà des enjeux institutionnels, ce référendum constitue un test grandeur nature pour les militaires au pouvoir. Dix mois après le putsch qui a renversé Ali Bongo, le général Brice Oligui Nguema joue gros. En cas de victoire du « oui », il verrait sa mainmise sur le pays confortée et pourrait se présenter en position de force à la présidentielle.
À l’inverse, une défaite ou une forte abstention constituerait un désaveu cinglant pour la junte, qui a promis de rendre le pouvoir aux civils d’ici deux ans. De quoi fragiliser sa position et ouvrir la voie à de nouvelles turbulences dans ce pays d’Afrique centrale, rompu aux crises politiques.
Une chose est sûre : le résultat des urnes, très attendu, sera scruté de près, bien au-delà des frontières du Gabon. Dans une région secouée par les coups d’État, du Tchad au Burkina Faso en passant par la Guinée, il donnera un signal fort sur l’état de la démocratie en Afrique centrale. Et sur la capacité des militaires à se muer en dirigeants légitimes et acceptés par leur peuple.