Imaginez un monde où une déclaration, prononcée il y a plus de trois décennies dans une salle bondée à Alger, continue de résonner à travers les couloirs des Nations unies. En 1988, l’autoproclamation de l’État palestinien par Yasser Arafat a marqué un tournant historique. Aujourd’hui, près des trois quarts des membres de l’ONU, soit 142 pays, reconnaissent officiellement cet État. Mais que signifie cette reconnaissance, et pourquoi suscite-t-elle autant de débats ? Cet article explore les étapes clés de ce mouvement diplomatique, des premières reconnaissances aux récents développements liés à la guerre à Gaza.
Un Élan Diplomatique Historique
La reconnaissance de l’État palestinien est bien plus qu’un acte symbolique. Elle reflète les aspirations d’un peuple à l’autodétermination, mais aussi les tensions géopolitiques qui façonnent le monde. Depuis 1988, ce processus a évolué par vagues, porté par des moments clés et des contextes internationaux changeants. Examinons cette dynamique en trois grandes étapes.
1988 : L’Autoproclamation d’un État en Exil
Le 15 novembre 1988, à Alger, Yasser Arafat, leader de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), proclame l’établissement de l’État de Palestine, avec Jérusalem comme capitale. Ce moment, survenu en pleine première Intifada, soulèvement palestinien contre l’occupation israélienne, est un acte audacieux. Quelques minutes après cette déclaration, l’Algérie devient le premier pays à reconnaître officiellement cet État.
« La joie palestinienne, le refus israélien et l’attentisme des arabes israéliens ont marqué la première journée de l’État palestinien. »
Dans les jours qui suivent, une quarantaine de pays emboîtent le pas, dont des poids lourds comme la Chine, l’Inde, la Turquie et la plupart des nations arabes. Les pays africains, à l’exception de deux, et ceux du bloc soviétique suivent rapidement. Ce mouvement initial, porté par une vague de solidarité internationale, pose les bases d’une reconnaissance qui s’étendra sur des décennies.
2011-2012 : Une Offensive Diplomatique aux Nations Unies
Après la mort d’Arafat en 2004, Mahmoud Abbas, son successeur, intensifie les efforts pour faire reconnaître la Palestine sur la scène internationale. Sous sa présidence, l’Autorité palestinienne, créée par les accords d’Oslo en 1993, lance une stratégie ambitieuse. En 2011, l’Unesco marque un tournant en admettant la Palestine comme membre à part entière, malgré les objections d’Israël et des États-Unis.
Un an plus tard, en novembre 2012, l’État de Palestine obtient le statut d’État observateur à l’ONU. Bien que ce statut ne confère pas de droit de vote, il ouvre la porte à une participation accrue dans les agences onusiennes et les traités internationaux. Ce jalon diplomatique permet notamment à la Palestine de rejoindre la Cour pénale internationale (CPI) en 2015, ouvrant la voie à des enquêtes sur les opérations militaires israéliennes dans les territoires palestiniens.
Cette intégration à la CPI a suscité des réactions vives, certains y voyant une avancée pour la justice, d’autres une provocation politique.
Ces avancées, bien que significatives, n’ont pas conduit à une reconnaissance universelle. La plupart des pays d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, ainsi que le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, restent réticents à franchir ce pas, souvent en raison de leurs alliances avec Israël.
2023-2024 : Un Regain d’Intérêt Post-Gaza
La guerre à Gaza, déclenchée après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, a ravivé les discussions sur la reconnaissance de l’État palestinien. Ce conflit, d’une intensité sans précédent, a poussé plusieurs pays à revoir leur position. Depuis 2024, dix nations ont officiellement reconnu la Palestine, dont quatre pays des Caraïbes (Jamaïque, Trinité-et-Tobago, Barbade, Bahamas) et l’Arménie.
En Europe, quatre pays ont marqué l’histoire récente : la Norvège, l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie. Ces décisions, prises en 2024, constituent une première dans l’Union européenne depuis la reconnaissance par la Suède en 2014. Ce dernier acte avait d’ailleurs provoqué des tensions avec Israël, illustrant les enjeux diplomatiques complexes entourant cette question.
La France, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, envisage de rejoindre ce mouvement. Lors de son discours prévu en septembre 2025 à l’Assemblée générale de l’ONU, le président français devrait annoncer une reconnaissance officielle, portant le nombre de pays à 142. D’autres nations, comme Malte, l’Australie et le Canada, évoquent également cette possibilité, bien que sans engagement ferme pour l’instant.
Pourquoi Cette Reconnaissance Divise-t-elle ?
La reconnaissance de l’État palestinien est un sujet clivant, car elle touche à des questions de souveraineté, de sécurité et de géopolitique. Pour les pays qui soutiennent cette démarche, il s’agit d’un pas vers la justice et la paix, en ligne avec la solution à deux États. Pour d’autres, notamment les alliés d’Israël, elle risque de compliquer les négociations bilatérales et de légitimer des mouvements jugés controversés.
Voici les principales raisons de cette division :
- Soutien à l’autodétermination : Les pays arabes, africains et certains pays d’Amérique latine y voient un acte de solidarité avec les Palestiniens.
- Alignement géopolitique : Les nations réticentes, comme les États-Unis, craignent que cette reconnaissance ne fragilise leur allié israélien.
- Crainte de tensions : Certains pays européens hésitent, redoutant des répercussions diplomatiques ou économiques.
Cette fracture est particulièrement visible en Europe. Si des pays comme la Pologne ou la Bulgarie ont reconnu la Palestine dès 1988, d’autres, comme la Hongrie ou la République tchèque, se montrent plus réservés, voire révoquent implicitement leur soutien initial.
Les Enjeux Actuels et Futurs
La reconnaissance de l’État palestinien ne se limite pas à un geste symbolique. Elle a des implications concrètes :
Aspect | Impact |
---|---|
Accès aux institutions | Permet à la Palestine de participer à des agences de l’ONU et à des traités internationaux. |
Poids diplomatique | Renforce la légitimité de la Palestine sur la scène mondiale. |
Pressions sur Israël | Encourage des enquêtes, comme à la CPI, sur les actions israéliennes. |
À l’approche de la conférence de l’ONU sur la question palestinienne, prévue à partir du 28 juillet 2025, les regards se tournent vers les pays encore indécis. Une reconnaissance plus large pourrait-elle relancer les négociations pour une solution à deux États ? Ou au contraire, exacerber les tensions dans une région déjà volatile ?
Un Avenir Incertain
Le chemin vers une reconnaissance universelle de l’État palestinien reste semé d’embûches. Si 142 pays, soit près des trois quarts des membres de l’ONU, ont franchi le pas, des poids lourds comme les États-Unis, le Japon ou l’Allemagne manquent à l’appel. Leur position, souvent alignée sur des considérations stratégiques, freine une dynamique qui pourrait transformer le paysage diplomatique.
Pourtant, chaque nouvelle reconnaissance est un signal. Elle rappelle que la question palestinienne, loin d’être reléguée aux oubliettes, continue de mobiliser les consciences et les chancelleries. Alors que la guerre à Gaza a ravivé les tensions, le geste de pays comme l’Espagne ou la Norvège montre que la diplomatie peut encore jouer un rôle. Mais jusqu’où ce mouvement ira-t-il ?
La reconnaissance de la Palestine est-elle la clé d’une paix durable, ou un obstacle à des négociations directes ?
En conclusion, la reconnaissance de l’État palestinien, amorcée en 1988, a parcouru un long chemin, portée par des moments de rupture et des crises majeures. Avec 142 pays à ce jour, et peut-être plus à venir, ce mouvement reflète à la fois l’espoir d’une solution à deux États et les défis d’un monde divisé. La conférence de l’ONU en juillet 2025 pourrait être un nouveau tournant. Reste à savoir si elle ouvrira la voie à une paix durable ou à de nouvelles tensions.