Kinshasa, mégalopole bouillonnante de la République Démocratique du Congo, vient de connaître un coup de filet d’une ampleur rare. En l’espace d’une semaine, les forces de l’ordre ont procédé à l’arrestation de 784 jeunes hommes suspectés d’appartenir à des bandes criminelles qui sèment la terreur dans la capitale. Une opération choc baptisée « Ndobo », « hameçon » en lingala, la langue la plus parlée localement.
Dès vendredi, des dizaines de ces délinquants présumés ont été présentés à la justice lors d’une audience foraine organisée dans un commissariat du centre-ville. Une comparution très médiatisée, retransmise en direct par la télévision nationale, en présence du ministre de la Justice Constant Mutamba.
Ces jeunes, pour la plupart sales et torse nu, sont accusés d’appartenir aux redoutables « kulunas ». Des gangs ultra-violents qui terrorisent les quartiers de Kinshasa, attaquant à la machette passants et automobilistes pour les dépouiller, n’hésitant pas à mutiler voire à tuer ceux qui leur résistent.
Entre satisfaction et inquiétudes
Cette vaste opération anti-criminalité, saluée par le gouvernement, suscite des réactions contrastées au sein de la population. Si beaucoup se réjouissent de voir ces délinquants interpellés et jugés, d’autres s’inquiètent des risques de dérive d’une justice expéditive.
Le ministre de la Justice lui-même a récemment déclaré que la peine de mort serait appliquée aux « kulunas », provoquant un tollé parmi les défenseurs des droits humains. Un recours à la peine capitale d’autant plus préoccupant que le gouvernement a levé en mars dernier le moratoire sur les exécutions en vigueur depuis 2003.
Les gens sont pour qu’on tue les kulunas, mais nous sommes un gouvernement, nous sommes les gestionnaires de la République, et la République est gérée par des lois.
Le ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani
Un problème récurrent
Ce n’est pas la première fois que les autorités congolaises lancent une offensive musclée contre les gangs. Entre 2013 et 2014, une opération similaire s’était soldée par la mort d’au moins une cinquantaine de jeunes selon l’ONG Human Rights Watch. Une trentaine avaient également été portés disparus.
À l’époque, la police avait été accusée de recourir à des exécutions extrajudiciaires. Son chef s’était même vu sanctionner par les États-Unis. Mais le gouvernement avait balayé les critiques, défendant le « professionnalisme » des forces de l’ordre.
La jeunesse kinoise en perdition
Au-delà de la répression, c’est toute la problématique de la délinquance juvénile à Kinshasa qui est posée. Dans cette ville tentaculaire de plus de 12 millions d’habitants, les inégalités sont criantes et les perspectives d’avenir limitées pour une jeunesse démunie et désorientée.
Chômage de masse, échec scolaire, délitement du tissu social… Autant de facteurs qui poussent certains jeunes des quartiers les plus pauvres à basculer dans la criminalité. Un phénomène aggravé par la circulation massive d’armes blanches et à feu.
On ne peut pas se contenter de réprimer. Il faut s’attaquer aux racines du mal, donner des perspectives à ces jeunes, recréer du lien social. C’est un travail de longue haleine, mais c’est la seule solution durable.
Un travailleur social de Kinshasa
Un défi majeur pour les autorités
Face à l’ampleur du phénomène des gangs, le gouvernement congolais se retrouve sous pression. La population exaspérée réclame des mesures fortes. Mais dans un contexte sécuritaire tendu, notamment dans l’est du pays en proie à des rébellions armées, la tentation d’une réponse purement sécuritaire est grande.
Pourtant, les experts en sécurité urbaine appellent à une approche plus globale, mêlant prévention, réinsertion et répression ciblée. Un équilibre difficile à trouver pour des autorités qui peinent déjà à assurer les missions régaliennes de base.
L’opération « Ndobo », si elle a permis de mettre hors d’état de nuire des délinquants dangereux, ne suffira pas à elle seule à éradiquer le fléau des gangs à Kinshasa. Elle révèle surtout l’urgence d’une prise en charge en profondeur de la jeunesse des quartiers défavorisés. Un défi majeur pour la stabilité de la capitale congolaise et, au-delà, pour l’avenir du pays tout entier.