Imaginez une ville d’un million d’habitants, longtemps plongée dans le chaos, soudain métamorphosée par une opération aussi inattendue qu’imposante. À Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), des habitants armés de bêches, de machettes et de balais s’activent sous un ciel lourd pour redonner un souffle nouveau à leurs rues. Ce n’est pas une initiative citoyenne spontanée, mais une directive venue d’un acteur controversé : le M23, un groupe armé qui, après avoir conquis la ville sans coup férir, s’impose désormais comme un administrateur implacable. Que se passe-t-il vraiment dans cette métropole du Sud-Kivu ?
Le M23, Nouveau Visage de Bukavu
Moins d’une semaine après avoir pris le contrôle de Bukavu, le M23 ne se contente pas de sécuriser les lieux. Le groupe, soutenu selon des experts par des forces rwandaises, lance une vaste campagne de nettoyage. Les avenues boueuses, les marchés encombrés de déchets et les ruelles oubliées reprennent vie sous les efforts coordonnés de la population, réquisitionnée pour l’occasion. Une opération qui rappelle étrangement ce qui s’est déroulé à Goma, une autre ville conquise récemment par le même mouvement.
Ce n’est pas qu’une question d’hygiène. Pour le M23, il s’agit de poser les bases d’une gouvernance durable. Après des jours de pillages et d’insécurité orchestrés par des miliciens et des civils armés, la paix semble revenue. Mais ce calme a un prix : une autorité imposée, où les habitants, conscients ou non, participent à un projet qui dépasse le simple ramassage des ordures.
Un Retour à la Sécurité : Mythe ou Réalité ?
Avant l’arrivée du M23, Bukavu vivait dans une tension palpable. Les forces armées congolaises, dépassées, ont cédé la place sans résistance. Dans ce vide, des bandes armées ont semé la peur, pillant maisons et boutiques jusqu’à ce que le groupe armé impose son ordre. Aujourd’hui, un porte-parole du mouvement clame haut et fort que la sécurité est rétablie, une affirmation accueillie avec un mélange de soulagement et de scepticisme par les habitants.
« Nous sommes en paix maintenant, grâce à nos troupes qui assurent la sécurité. »
– D’après un responsable politique du M23 lors d’un discours public
Cette paix, toutefois, semble fragile. Si les rues sont plus sûres, elles résonnent encore des échos d’un conflit plus large, où des puissances voisines jouent un rôle trouble. Les habitants, eux, oscillent entre obéissance et résignation, participant aux travaux forcés tout en se demandant combien de temps cette accalmie durera.
Salongo : Une Tradition Détournée ?
Le terme *salongo*, qui désigne les travaux communautaires en lingala, n’est pas nouveau en RDC. Autrefois symbole de solidarité, il est aujourd’hui repris par le M23 pour asseoir son emprise. Dès l’aube, des groupes se forment dans les quartiers, supervisés par des responsables locaux qui vantent l’efficacité de cette mobilisation. « Tout le monde est actif », assure un chef de secteur, soulignant que cette initiative réussit là où les précédentes administrations ont échoué.
Mais derrière cette apparente réussite, une question demeure : est-ce un élan collectif ou une obéissance contrainte ? Les habitants, habitués à des années de négligence, se plient aux ordres, peut-être plus par pragmatisme que par conviction. Le contraste est saisissant : là où l’État a failli, le M23 impose une discipline qui force l’admiration autant qu’elle interroge.
Une Ville Propre, un Symbole Fort
Pour beaucoup, voir Bukavu débarrassée de ses déchets est un choc positif. Autrefois surnommée la « Suisse d’Afrique » pour sa beauté naturelle, la ville s’était transformée en un dépotoir à ciel ouvert. Aujourd’hui, des habitants s’émerveillent de ce changement soudain. « C’est la première fois qu’on voit la ville aussi propre », confie un jeune résident à une source proche du terrain.
Les témoignages abondent. Une vendeuse du marché local se réjouit : « On sent vraiment la différence avec ces travaux. » Un autre habitant va plus loin, proposant d’interdire les bouteilles en plastique pour préserver cet élan. Ces voix, sincères ou influencées par le discours ambiant, traduisent un besoin criant de renouveau dans une ville longtemps laissée à l’abandon.
Le Rôle Trouble du Rwanda
Derrière cette transformation, un acteur invisible mais omniprésent : le Rwanda. Selon des rapports d’experts internationaux, le M23 bénéficie d’un appui militaire massif de ce pays voisin, avec plusieurs milliers de soldats impliqués dans le conflit. Cette alliance, niée officiellement, alimente les spéculations sur les véritables ambitions du mouvement. Bukavu n’est-elle qu’une étape dans un projet régional plus vaste ?
Pour les habitants, cette question reste secondaire. Ce qui compte, c’est le quotidien : des rues nettoyées, une sécurité relative, et une autorité qui agit là où d’autres ont promis sans tenir. Mais cette dépendance à un soutien extérieur soulève des inquiétudes sur la souveraineté réelle de la région.
Un Changement Durable ou une Illusion ?
Si le M23 parvient à maintenir cet élan, Bukavu pourrait redevenir un modèle d’ordre et de propreté. Mais à quel coût ? Les travaux communautaires, bien qu’efficaces, reposent sur une autorité imposée, et non sur une adhésion citoyenne. Les habitants participent, mais beaucoup doutent que cette dynamique survive sans la pression des armes.
- Progrès visible : Les rues sont plus propres qu’elles ne l’ont été depuis des années.
- Contrôle strict : Le M23 dirige d’une main de fer, laissant peu de place à l’initiative locale.
- Incertitude : L’avenir dépend de la stabilité politique et militaire dans la région.
Certains rêvent déjà d’une ville débarrassée de ses vieux démons, tandis que d’autres craignent que ce ne soit qu’une parenthèse avant un retour au chaos. Le M23, en s’imposant comme un administrateur efficace, joue une carte audacieuse dans un conflit où chaque geste est scruté.
Vers une Nouvelle Identité pour Bukavu
Le nettoyage des rues n’est pas qu’une opération pratique ; c’est un symbole. En effaçant les traces de négligence, le M23 tente de réécrire l’histoire de Bukavu, passant de « ville poubelle » à un espace ordonné. Les habitants, jeunes et vieux, s’impliquent dans cet effort, redécouvrant un sentiment d’appartenance qu’ils croyaient perdu.
Pourtant, ce renouveau reste suspendu à des enjeux plus vastes. Entre les tensions régionales, les luttes de pouvoir internes et les ambitions étrangères, Bukavu marche sur un fil. Le M23 a réussi à capter l’attention, mais transformer une victoire militaire en un projet viable demandera bien plus que des balais et des discours.
À retenir : Bukavu change sous l’impulsion du M23, mais ce renouveau soulève autant d’espoirs que de questions sur l’avenir.
