Imaginez signer un accord qualifié de « miracle » par le président des États-Unis… et vous réveiller le lendemain sous une pluie de bombes. C’est exactement ce qui arrive en ce moment à des milliers de familles de l’est de la République démocratique du Congo.
Un accord de paix déjà piétiné à peine signé
Jeudi soir, à Washington, les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame apposaient leur signature au bas d’un document présenté comme la fin de trente ans de guerre dans les Kivus. Moins de vingt-quatre heures plus tard, les collines autour de Kamanyola tremblaient sous les impacts d’obus et de bombes aériennes.
Le contraste est saisissant. D’un côté les diplomates trinquant au champagne, de l’autre des mères courant avec leurs enfants vers la frontière rwandaise, les oreilles bourdonnantes des détonations.
Kamanyola, nouvelle ligne de front
La petite ville de Kamanyola, coincée entre RDC, Rwanda et Burundi, est devenue l’épicentre des combats ce vendredi. Contrôlée par le M23, elle subit les assauts de l’armée congolaise renforcée par des milliers de soldats burundais.
Les détonations étaient si puissantes qu’elles faisaient vibrer les vitres à Bugarama, côté rwandais, à plus de deux kilomètres de distance. Dès l’aube, des files interminables de civils ont franchi la frontière sous le regard impassible des policiers rwandais.
« Les bombes explosaient au-dessus des maisons. On nous a dit de rester enfermés, mais c’est impossible quand le toit risque de s’effondrer sur vous. »
Immaculée Antoinette, déplacée de Ruhumba
Des frappes sur des objectifs civils
Les témoignages convergent : écoles, hôpitaux et habitations ont été touchés. Hassan Shabani, responsable administratif local, parle d’une violence indiscriminée qui ne fait aucune distinction entre combattants et civils.
Le M23, de son côté, accuse les forces burundaises positionnées au Burundi de bombarder sans relâche le territoire congolais. Une guerre par procuration qui semble échapper à tout contrôle.
Sur les collines rwandaises, les habitants observent le spectacle en petits groupes. Quand les tirs s’intensifient, les femmes et les enfants se réfugient à l’intérieur, le cœur battant.
Trente ans de conflit en quelques chiffres
L’est de la RDC traîne une guerre presque oubliée du reste du monde depuis les années 1990. Quelques repères :
- Plus de 120 groupes armés actifs dans les seules provinces du Nord et Sud-Kivu
- Près de 7 millions de déplacés internes – l’une des pires crises humanitaires au monde
- Goma tombée aux mains du M23 fin janvier 2025
- Bukavu prise en février 2025
- Des minerais stratégiques (coltan, cobalt, or) au cœur des convoitises
Dans ce chaos, chaque avancée militaire se paie au prix fort par la population.
Pourquoi cet accord n’a-t-il rien changé sur le terrain ?
Plusieurs raisons expliquent ce décalage brutal entre la signature solennelle et la réalité des combats.
D’abord, le texte signé à Washington reprend en grande partie l’accord-cadre déjà négocié en juin, qui n’avait jamais été appliqué. Ensuite, aucun mécanisme de cessez-le-feu immédiat n’était prévu. Enfin et surtout, la méfiance reste totale entre les parties.
Le M23, bien que signataire indirect via Kigali, continue de considérer les forces burundaises et certaines milices locales comme des ennemis légitimes. De leur côté, Kinshasa et Bujumbura voient toujours le Rwanda comme l’agresseur principal.
La frontière, seule bouée de sauvetage
Pour des centaines de familles, le Rwanda représente paradoxalement le refuge le plus proche. Malgré les accusations récurrentes de Kinshasa contre Kigali, les autorités rwandaises laissent passer les déplacés sans entrave.
Les scènes sont déchirantes : personnes âgées portées sur le dos, enfants en pleurs, ballots hâtivement noués. Tout un quartier de Kamanyola s’est vidé en quelques heures.
« On ne sait même pas si on pourra revenir. Mais rester, c’était mourir. »
Une mère de famille anonyme, à la frontière
Un « miracle » diplomatique en sursis
Le terme de « miracle » employé à Washington sonne aujourd’hui comme une cruelle ironie. Les images de civils fuyant sous les bombes contredisent point par point les discours optimistes de la veille.
La communauté internationale, qui a tant investi dans ce processus, se retrouve une fois de plus face à la même question : comment transformer un morceau de papier en réalité sur le terrain ?
Pour l’instant, dans les collines du Sud-Kivu, la seule réponse qui résonne est celle des explosions.
Résumé des événements des dernières 48 heures :
• Jeudi soir → Signature de l’accord RDC-Rwanda à Washington
• Vendredi matin → Reprise des combats intenses à Kamanyola
• Vendredi midi → Plusieurs centaines de civils fuient vers le Rwanda
• Situation actuelle → Combats en cours, aucun cessez-le-feu respecté
La paix, dans l’est de la RDC, reste pour l’instant un mot vidé de sens. Et pendant que les chancelleries analysent les clauses de l’accord, ce sont une fois de plus les civils qui paient le prix le plus lourd.
On ne peut qu’espérer que les images de ces familles en exode forcé pèsent enfin plus lourd que les calculs géopolitiques. Car un accord qui ne protège pas les populations n’est pas un accord de paix – c’est une pause entre deux massacres.









