C’est sous les cris de « Adèle, on te croit! » et « Violeurs, on vous voit! » qu’une cinquantaine de personnes, en majorité des femmes, se sont rassemblées lundi matin devant le tribunal judiciaire de Paris. Elles sont venues témoigner leur soutien à l’actrice Adèle Haenel, au premier jour du très attendu procès de Christophe Ruggia. Le réalisateur est accusé d’avoir agressé sexuellement Adèle Haenel lorsqu’elle avait entre 12 et 14 ans, lors du tournage puis de la promotion du film « Les Diables » en 2001.
Pancartes à la main, les manifestants ont dénoncé avec force les violences sexuelles faites aux mineures, encore trop souvent passées sous silence. « Un enfant n’est jamais consentant », pouvait-on notamment lire sur les panneaux brandis. Beaucoup sont aussi venus saluer le courage d’Adèle Haenel, qui avait porté publiquement ces accusations en novembre 2019, contribuant à libérer la parole dans le sillage de #MeToo. « Elle a pris des risques énormes pour sa carrière en dénonçant ces faits, elle a ouvert la voie à d’autres », souligne Élise, une manifestante.
Un procès sous haute tension
Dans la salle d’audience bondée, l’atmosphère était électrique lorsque le procès s’est ouvert. Adèle Haenel a pris place sur le banc des parties civiles, faisant face à Christophe Ruggia qui comparaît libre. Durant l’enquête, l’actrice a décrit les attouchements et le harcèlement moral qu’elle affirme avoir subis pendant trois ans, dénonçant l’emprise que le réalisateur aurait exercé sur elle.
Il respirait fort et m’embrassait dans le cou. Et si je résistais, il réagissait de manière choquée en niant (…) alors qu’il avait sa main dans ma culotte.
Adèle Haenel, lors de sa déposition
De son côté, Christophe Ruggia a nié en bloc les accusations lors de l’instruction, allant jusqu’à affirmer qu’Adèle Haenel, alors âgée de 12 ans, était d’une « sensualité débordante » et avait des gestes « dignes d’un film porno » qui le mettaient mal à l’aise. Des propos qui ont suscité l’indignation tant leur caractère victim-blaming est criant.
Les dérives d’un tournage
Lors de l’enquête, plusieurs professionnels ayant travaillé sur le film ont aussi dénoncé les conditions de travail imposées aux enfants sur ce tournage, et surtout le comportement inapproprié de Christophe Ruggia. « Ça ne va pas, on dirait un couple, ce n’est pas normal », s’était dit une scripte à l’époque, décrivant un réalisateur « envahissant » envers la très jeune actrice.
Pour les soutiens d’Adèle Haenel, ce procès doit être celui d’un système qui a trop longtemps fermé les yeux sur les violences sexuelles dans le milieu du cinéma, en particulier quand elles concernent des mineures. « Il est temps que la justice passe et que l’impunité cesse », martèle Béatrice, une manifestante. D’autres espèrent que ce procès très médiatisé marquera un tournant et encouragera d’autres victimes à parler.
10 ans de prison encourus
Christophe Ruggia comparaît pour agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité, des faits passibles de 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende. Adèle Haenel avait dénoncé publiquement ces faits en apprenant que le réalisateur préparait un nouveau film avec des adolescents. Elle avait déjà raconté son calvaire à son entourage professionnel et personnel des années auparavant.
Les femmes dénoncent les violences sexistes et sexuelles depuis des années, maintenant il faut les écouter.
Une manifestante devant le tribunal
Ce procès, très attendu et scruté, sera aussi celui de la parole des victimes face à la négation des agresseurs présumés. Il devra déterminer s’il y a eu abus et agressions sexuelles, au-delà de la relation d’emprise décrite par Adèle Haenel. Plus largement, il pourrait constituer une étape majeure pour le mouvement #MeToo dans le cinéma français, encore trop souvent réticent à regarder en face les violences sexistes et sexuelles qui gangrènent le milieu. La décision du tribunal est attendue le 16 juin.