Vous êtes tranquillement en train de scroller, et soudain un post vous fait bondir. Vous tapez une réponse enflammée, vous partagez, vous commentez… et vous venez, sans le savoir, de mordre à l’hameçon. Ce scénario, des millions de personnes le vivent chaque jour. En 2025, il a enfin un nom officiel : le rage bait.
Le couronnement inattendu d’un phénomène qu’on pratiquait déjà
Les Presses universitaires d’Oxford viennent de désigner rage bait comme le mot de l’année 2025. Traduit littéralement par « appât à rage », il désigne tout contenu en ligne volontairement provocateur, offensant ou exagéré dans le seul but de déclencher des réactions colériques massives. Plus vous vous énervez, plus l’algorithme vous montre ce type de publications. Et plus l’auteur gagne en visibilité, en clics, en revenus.
Ce n’est pas une surprise pour ceux qui passent du temps sur les réseaux, mais voir ce terme couronné par l’une des institutions linguistiques les plus respectées du monde donne une tout autre dimension au problème.
Qu’est-ce que le rage bait, exactement ?
La définition retenue est limpide : du contenu conçu pour susciter la colère ou l’indignation par son caractère frustrant, provocateur ou offensant, publié dans le but d’augmenter le trafic ou l’engagement.
En clair : un titre racoleur, une affirmation outrancière, une caricature grossière, une vidéo montée pour choquer… Tout est bon pour faire réagir. Et la réaction la plus rentable reste la colère : elle pousse au commentaire immédiat, au partage indigné, à la citation furieuse.
Le mécanisme est simple mais redoutable :
- Vous voyez quelque chose qui vous révolte
- Votre cerveau libère de l’adrénaline
- Vous réagissez sans réfléchir
- L’algorithme note l’engagement exceptionnel
- Le contenu est propulsé auprès de milliers d’autres personnes
- Le cycle recommence
Pourquoi la colère est l’émotion la plus rentable en ligne
Des études montrent depuis longtemps que les émotions négatives génèrent plus d’interactions que les positives. La joie se savoure, la colère se crie. Et sur internet, crier rapporte.
Une publication qui fait sourire sera likée. Une publication qui met en rage sera commentée, citée, partagée avec un « regardez-moi ça ». Résultat : elle touche dix, vingt, cent fois plus de monde.
« Les plateformes numériques remodèlent notre façon de penser et notre comportement »
Casper Grathwohl, président de la division langage d’Oxford University Press
Cette phrase résume parfaitement l’enjeu. Nous ne sommes plus seulement consommateurs de contenu : nous sommes devenus la matière première d’un système qui prospère sur nos émotions les plus brutes.
D’où vient ce mot et comment est-il devenu incontournable ?
Le terme rage bait existait déjà dans les cercles spécialisés depuis plusieurs années, mais 2025 marque son explosion dans le langage courant. Plus de 30 000 personnes ont participé au vote organisé par Oxford, et les données d’usage montrent une progression fulgurante du mot dans les conversations, les articles, les podcasts.
Il a battu des concurrents pourtant sérieux :
- Aura farming – l’art de cultiver une image cool et charismatique en ligne
- Biohack – optimiser son corps et son esprit avec des méthodes parfois extrêmes
Le fait que ce soit le rage bait qui l’emporte en dit long sur l’état de nos réseaux sociaux en cette fin d’année 2025.
2024 avait déjà sonné l’alarme avec « brain rot »
L’année précédente, Oxford avait choisi brain rot, que l’on peut traduire par « pourrissement cérébral ». Le terme désignait l’abrutissement causé par une consommation excessive de contenus de mauvaise qualité.
Deux ans de suite, les mots de l’année pointent directement du doigt les dérives de notre rapport aux écrans. D’abord la détérioration de notre attention et de notre pensée critique, ensuite la transformation de la colère en carburant économique.
Le message est clair : les plateformes nous changent. Et pas forcément en mieux.
Les autres mots de l’année dans le monde
Oxford n’est pas seul à observer ces mutations du langage. D’autres dictionnaires prestigieux ont aussi livré leur verdict pour 2025 :
| Cambridge | parasocial | Relation à sens unique avec une célébrité ou une IA |
| Collins | vibe coding | Programmer avec l’IA en langage naturel |
| Oxford | rage bait | Contenu conçu pour provoquer la colère |
Trois mots, trois facettes de notre rapport aux écrans : la fausse intimité, la délégation de la créativité, et la colère monétisée.
Comment repérer le rage bait au quotidien
Quelques indices qui ne trompent pas :
- Titre en majuscules avec plusieurs points d’exclamation
- Affirmation absolue (« TOUS les hommes… », « Les femmes ADORENT quand… »)
- Photo choc ou montage grossier
- Première phrase qui vous fait déjà grincer des dents
- Commentaires qui s’enflamment dès les premières secondes
Quand vous ressentez cette montée de chaleur, posez-vous la question : est-ce que je réagis parce que c’est important… ou parce que c’est exactement ce qu’on attend de moi ?
Et maintenant, que faire ?
Prendre conscience, c’est déjà un premier pas. Quelques réflexes simples peuvent limiter l’impact :
- Faire une pause de trois secondes avant de commenter
- Se demander « est-ce que cette personne cherche vraiment le débat ou juste l’attention ? »
- Mute ou bloque les comptes qui pratiquent systématiquement le rage bait
- Privilégier les sources qui informent plutôt que celles qui enflamment
Ce n’est pas être « trop sensible ». C’est refuser de participer à un système qui se nourrit de notre énergie négative.
En élisant rage bait mot de l’année 2025, Oxford ne se contente pas de constater un phénomène : il nous tend un miroir. À nous de décider si nous continuons à mordre à l’hameçon… ou si nous apprenons enfin à nager tranquillement au milieu des requins.
Parce qu’au final, la plus grande victoire contre le rage bait, c’est l’indifférence.
