Imaginez un monde où vos films préférés sortent directement sur votre canapé, sans jamais passer par la case grand écran. Ce scénario, qui faisait encore rêver certains il y a quelques années, devient soudain une menace bien réelle pour des milliers de personnes. L’annonce, vendredi dernier, du rachat de Warner Bros par Netflix pour 72 milliards de dollars a provoqué un séisme dont les répliques se font encore sentir à Hollywood, dans les salles obscures et jusqu’au Congrès américain.
Une opération titanesque qui change la donne
Le chiffre donne le vertige : 72 milliards de dollars, près de 83 milliards en comptant la dette. Avec cette acquisition, Netflix met la main sur les mythiques studios Warner Bros, leur catalogue légendaire et surtout sur HBO Max, son principal rival dans le streaming premium.
En un seul coup, l’entreprise dirigée par Ted Sarandos et Greg Peters devient le mastodonte incontesté du secteur. Plus de 300 millions d’abonnés Netflix + 128 millions pour HBO Max, soit près d’un demi-milliard de foyers connectés sous la même bannière. Et surtout, un budget annuel combiné de plus de 20 milliards de dollars dédié à la création de contenus. Personne n’arrive ne serait-ce qu’à la cheville de ce nouveau géant.
Pourquoi tout le monde s’affole
Dès l’annonce, les réactions n’ont pas tardé. Le sénateur républicain Mike Lee a été le premier à dégainer sur X : cette opération « devrait alarmer les autorités de la concurrence partout dans le monde ». Sa collègue démocrate Elizabeth Warren a enchaîné en dénonçant un risque clair d’augmentation des prix, de réduction du choix et même de pertes d’emplois aux États-Unis.
« Cette fusion menace d’augmenter le prix des abonnements, d’entraîner un choix plus réduit, tout en menaçant l’emploi aux États-Unis. »
Elizabeth Warren, sénatrice démocrate
Dans les couloirs du pouvoir, l’inquiétude est palpable. Un haut responsable, cité anonymement par CNBC, a confié qu’un « fort scepticisme » régnait au sein de l’administration Trump face à ce projet. La FTC, l’autorité américaine de la concurrence, refuse pour l’instant de commenter. Quant à la Maison Blanche, silence radio.
Les cinémas dans le viseur
Pour les exploitants de salles, c’est la panique totale. La fédération Cinema United parle carrément d’une « menace sans précédent ». Leur crainte ? Que Netflix, connu pour privilégier la sortie directe sur sa plateforme, enterre définitivement la fenêtre d’exclusivité cinéma.
Interrogé vendredi lors d’une conférence avec les analystes, Ted Sarandos a pourtant tenté de rassurer : non, Netflix ne supprimera pas les sorties en salles pour les films Warner Bros. Mais il a aussitôt ajouté qu’il comptait réduire encore la période d’exclusivité. Déjà passée de 45 jours à parfois 17 jours après le Covid, cette fenêtre pourrait devenir symbolique.
Concrètement : un film comme le prochain Dune 3 ou Superman pourrait n’être visible en salle que deux ou trois semaines avant d’arriver sur Netflix pour tous les abonnés. Pour les cinémas, c’est une question de survie.
David Ellison, l’adversaire qui a les clés du pouvoir
Dans l’ombre, un autre prétendant observe la situation avec une attention particulière : David Ellison. Le patron de Skydance Media, qui vient de décrocher le rachat de Paramount avec l’aval de Donald Trump, s’est ouvertement opposé à la solution Netflix.
Mercredi, il a été reçu à Washington pour exposer ses réticences. Son argument massue : cette fusion fausserait durablement la concurrence. Et il a une carte maîtresse : son père, Larry Ellison, fondateur d’Oracle, est un proche du président américain. Un atout qui pèse lourd dans les coulisses du pouvoir.
Le spectre de l’ingérence politique
C’est peut-être l’aspect le plus inquiétant pour beaucoup à Hollywood. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer le risque que l’administration utilise ce dossier comme levier politique.
Jane Fonda, dans une tribune très remarquée, n’a pas mâché ses mots :
« Ce qui me terrifie, c’est la façon dont ce gouvernement s’est servi de projets de fusions comme instruments de pression politique et de censure. »
Jane Fonda
Elle n’est pas la seule. Le précédent Skydance-Paramount est dans toutes les têtes. Pour obtenir le feu vert des régulateurs, David Ellison avait dû s’engager à modifier la ligne éditoriale de CBS, accusée par Donald Trump d’être « hors de contrôle ». Quelques jours plus tard, l’émission The Late Show de Stephen Colbert, très critique envers le président, était purement et simplement supprimée.
Beaucoup craignent aujourd’hui que Netflix doive, à son tour, payer un tribut politique pour obtenir le précieux sésame de la FTC.
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’examen du dossier par les autorités de la concurrence s’annonce long et mouvementé. Plusieurs scénarios sont sur la table :
- Le feu vert pur et simple (peu probable vu le contexte)
- Un accord conditionnel avec des concessions majeures (maintien d’une fenêtre cinéma, séparation de certaines activités…)
- Un blocage total, qui relancerait la course aux enchères
- Une intervention politique directe, avec des exigences extra-économiques
Une chose est sûre : cette fusion, si elle aboutit, marquera un tournant irréversible pour l’industrie du divertissement. Entre concentration extrême du marché, survie des salles de cinéma et soupçons d’ingérence, tous les ingrédients sont réunis pour un feuilleton qui risque de durer des mois.
Et pendant ce temps, les spectateurs, eux, attendent de savoir s’ils devront dire adieu au plaisir unique du grand écran… ou si Hollywood saura encore une fois se réinventer face au rouleau compresseur du streaming.
Une chose est certaine : l’avenir du cinéma se joue en ce moment même à Washington.
Et personne, ni les studios, ni les cinémas, ni même Netflix, ne sait encore comment cette histoire va se terminer.









