C’est un village ravagé par les inondations qui s’est mué en champ de bataille électoral pour l’extrême droite roumaine. À Pechea, dans l’est de la Roumanie, au milieu de la boue, se dressent des maisons flambant neuves. Derrière cette soudaine reconstruction se cache un homme : George Simion, le chef de l’extrême droite roumaine et candidat à la présidentielle de dimanche. Une stratégie qui semble porter ses fruits à en croire les derniers sondages.
Le pari audacieux de l’extrême droite pour séduire l’électorat
À 38 ans, ce fervent admirateur de Donald Trump, dont il aime arborer la fameuse casquette rouge, est bien placé pour se hisser au second tour selon les enquêtes d’opinion. Ce serait une première depuis plus de 20 ans dans ce pays d’Europe de l’Est, témoignant de la poussée des forces extrémistes sur le continent. Et Pechea est devenu son terrain de jeu favori pour y parvenir.
Après le passage dévastateur de la tempête Boris, le candidat a débarqué dans cette région pauvre avec une dizaine de camions et près de 300 volontaires. Officiellement pour porter secours aux sinistrés. Mais difficile de ne pas y voir aussi un coup politique. Dans le village, le visage de George Simion s’affiche désormais sur les façades des maisons. Certains habitants arborent même des vestes aux couleurs de son parti nationaliste, l’AUR.
Des maisons préfabriquées pour gagner les cœurs
« Ils ont enlevé la boue, nous ont donné un lit, ont aidé à réparer la maison », témoigne Nicolae Grosu, un sexagénaire chaussé de bottes en ce froid jour d’automne. Pour lui, pas de doute, « eux au moins, ils ont fait quelque chose », tranche-t-il, « frustré » par ce qu’il perçoit comme l’inefficacité des autorités. Son choix est fait, il votera pour l’AUR dimanche, « sans hésitation ». Une volonté de « changement » partagée par de nombreux habitants, lassés de voir les mêmes partis se succéder au pouvoir depuis la chute du communisme il y a 34 ans.
Mais la méthode ne convainc pas tout le monde. Le voisin de Nicolae, Paraschiv Bratu, attend toujours l’aide promise. Lui, il choisira les sociaux-démocrates, « même si ce sont aussi des voleurs », lâche-t-il, amer de ne pas avoir pu bénéficier d’une des maisons flambant neuves sorties de terre en quelques semaines grâce à l’AUR.
Une opération séduction minutieusement orchestrée
Car pendant que de nombreux sinistrés vivent toujours dans des préfabriqués, George Simion, lui, a fait acheter un grand terrain grâce à des dons de membres et sympathisants du parti. Le tout savamment mis en scène sur les réseaux sociaux, où le candidat appelle à « retrousser ses manches » pour aider les villageois en détresse. En tout, huit logements ont été érigés, arborant des motifs traditionnels et des figures historiques en hommage à cette grandeur de la Roumanie que l’aspirant président ne cesse de défendre.
Même s’il a quelque peu adouci son discours ces derniers mois, celui qui se définit comme « patriote » s’oppose toujours à l’aide militaire à l’Ukraine, au mariage homosexuel et prône « une Europe souveraine des nations ». Des accents proches d’un Viktor Orban en Hongrie dont il ne cache pas s’inspirer.
Une « mise en scène » qui porte ses fruits
Dans un pays frappé par une inflation record et un système de santé au bord de l’implosion, « son message très marketing, une pure mise en scène, a rencontré un fort écho », analyse le sociologue Barbu Mateescu. Un alignement des planètes en quelque sorte qui tombe à point nommé, permettant à George Simion de fédérer autour de lui l’électorat d’extrême droite, jusqu’ici dispersé entre plusieurs partis.
Et le résultat est là : fondée en 2019, sa formation politique a fait une entrée fracassante au Parlement un an plus tard avec près de 10% de voix. Score qu’elle espère bien doubler aux législatives organisées le 1er décembre. De quoi transformer l’essai de la présidentielle où George Simion est crédité de 15 à 19% des intentions de vote, talonnant le Premier ministre libéral Marcel Ciolacu, donné entre 25 et 30%.
Parmi les futurs locataires des maisons offertes par l’AUR, Andra Untaru, 39 ans et mère de trois enfants, place tous ses espoirs dans le candidat nationaliste, qui a promis une hausse des salaires et des mesures pour faire revenir au pays les millions de Roumains contraints de s’expatrier. « Nous lui souhaitons bonne chance. Grâce à Dieu, il deviendra notre président », veut-elle croire. Réponse dans les urnes dimanche, puis au second tour deux semaines plus tard. L’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir en Roumanie.