Imaginez-vous en 1814, haut fonctionnaire au service de l’Empire napoléonien. Du jour au lendemain, votre maître est déchu et remplacé par Louis XVIII, roi de France. À qui prêter allégeance ? C’est le dilemme qu’ont dû affronter de nombreux serviteurs de l’État lors de cette période tumultueuse de l’Histoire de France.
Un Empire qui s’effondre, une Monarchie qui renaît
Après la défaite de Napoléon face aux troupes coalisées européennes et son abdication en avril 1814, le frère de Louis XVI, Louis XVIII, est rappelé sur le trône. C’est la Première Restauration. L’appareil d’État se retrouve ainsi face à un changement brutal de régime.
Les hauts fonctionnaires, formés et promus sous l’Empire, sont particulièrement impactés. Préfets, magistrats, directeurs d’administrations… Tous se retrouvent face à un choix : rester fidèle à l’Empereur déchu ou se rallier au nouveau pouvoir royal.
Le serment à Louis XVIII : entre conviction et opportunisme
Pour s’assurer de la loyauté de l’administration, Louis XVIII exige de chaque fonctionnaire un serment de fidélité. Une épreuve difficile pour beaucoup, déchirés entre leur attachement à Napoléon et la nécessité de conserver leur poste.
Je jure et promets à Dieu de garder obéissance et fidélité au Roi, de n’avoir aucune intelligence qui soit contraire à son service.
– Serment des fonctionnaires à Louis XVIII
Si certains prêtent serment par réelle adhésion aux Bourbons, d’autres agissent par pur opportunisme, cherchant à sauvegarder leur position. D’autres encore tentent de louvoyer, évitant de se compromettre, dans l’espoir d’un retour de l’Empereur.
Les Cent-Jours : le grand retournement
Et ce retour a bien lieu ! En mars 1815, Napoléon débarque de l’île d’Elbe et regagne Paris, rétablissant l’Empire pour 100 jours. Nouveau bouleversement pour les hauts fonctionnaires, dont beaucoup se rallient à nouveau à leur ancien maître.
- Certains par fidélité jamais démentie
- D’autres pour se faire pardonner d’avoir servi Louis XVIII
- Les plus opportunistes pour rester en grâce du pouvoir
Napoléon, soucieux de rétablir rapidement son autorité, accueille nombre de ces girouettes. Mais certains ralliements jugés trop tardifs seront sanctionnés.
Waterloo et la Seconde Restauration : l’heure des comptes
Après la défaite de Waterloo et l’abdication définitive de Napoléon en juin 1815, Louis XVIII revient sur le trône. C’est l’heure des règlements de comptes pour ceux qui ont retourné leur veste pendant les Cent-Jours.
Je suis vieux et fatigué, on tirera de moi ce qu’on voudra, mais je ne veux plus être leur complice.
– Lettre d’un haut fonctionnaire à un proche, juillet 1815
Malgré une ligne politique plutôt modérée, la Seconde Restauration épure l’administration des éléments les plus compromis avec l’Empire. Près de la moitié des préfets sont remplacés. Une page se tourne, non sans laisser des traces.
Un héritage durable dans la haute fonction publique
Au-delà des drames individuels, cette valse des allégeances de 1814-1815 marque durablement la haute fonction publique française. Elle forge une certaine tradition d’adaptation aux changements de régime, qui perdurera au fil des soubresauts politiques du 19e siècle.
Elle pose aussi la question épineuse de la loyauté des serviteurs de l’État. Loyauté au régime ? Au pays ? À une certaine idée du bien public ? Autant de dilemmes qui hanteront encore longtemps l’administration française.
Ainsi, la période 1814-1815 nous offre un éclairage passionnant sur les tourments politiques des hauts fonctionnaires, pris entre fidélité et opportunisme, devoir et conviction. Une page méconnue mais fondatrice de notre Histoire administrative nationale.