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Quand Emmanuel Macron Vante « Al-Andalus » Pour Séduire le Maroc

Quand Emmanuel Macron loue l'Andalousie musulmane devant le Parlement marocain, réveille-t-il un imaginaire conquérant plus que le respect espéré ? Un spécialiste décrypte les écueils d'une stratégie visant à séduire le monde arabe en...

Face au Parlement marocain mardi dernier, le président français Emmanuel Macron a fait l’éloge d’Al-Andalus, vantant « les années qui ont fait de l’Espagne et du sud de la France un terreau d’échange avec votre culture ». Une référence au mythe de l’Andalousie musulmane médiévale, souvent dépeinte comme un âge d’or de tolérance et de coexistence harmonieuse entre islam, judaïsme et chrétienté. Mais cette vision idéalisée, forgée par des historiens européens critiques envers le catholicisme au 19ème siècle, correspond-elle à la réalité historique ? Et surtout, est-elle la clé pour gagner le respect du monde arabo-musulman aujourd’hui ?

Le mirage andalou : âge d’or ou âge de fer ?

Comme le souligne le philosophe Jean-Loup Bonnamy dans une tribune, la vision d’Al-Andalus en havre de tolérance relève plus du mythe que de l’histoire. Loin de l’harmonie célébrée, le statut des juifs et chrétiens sous domination musulmane, celui de « dhimmis », mêlait certes une certaine protection avec de lourdes discriminations :

Les dhimmis devaient payer un impôt spécifique très lourd, porter des vêtements distinctifs, il leur était interdit de monter à cheval ou de porter des armes. En justice, ils n’avaient pas le droit de contredire un musulman.

Jean-Loup Bonnamy, philosophe et essayiste

Pour l’historien espagnol Serafin Fanjul, spécialiste d’Al-Andalus, loin d’une coexistence paisible, il s’agissait d’« un régime terrifiant, très semblable à l’apartheid », émaillé de révoltes, répressions et déportations. Les exemples de bonne entente entre communautés furent l’exception plus que la règle.

Nostalgie andalouse et imaginaire conquérant

Mais le plus préoccupant est peut-être l’effet de ce discours sur l’imaginaire arabo-musulman. Car si le mythe négatif d’une Andalousie « paradis perdu » nourrit une certaine nostalgie dans ces sociétés, c’est aussi le souvenir d’une expansion fulgurante de l’islam. Comme le résume Bonnamy :

En flattant l’islam, en exaltant le mythe d’Al-Andalus, Emmanuel Macron pense gagner le respect des masses musulmanes. Or, il ne suscite que leur mépris et réveille, sans même s’en rendre compte, leur imaginaire conquérant.

Jean-Loup Bonnamy

Une nostalgie qui se retrouve jusque chez certains groupes islamistes radicaux. Ainsi, le mentor d’Oussama Ben Laden, le Palestinien Abdullah Azzam, considérait l’Espagne comme une terre musulmane à « libérer », au même titre que la Palestine. Quant aux terroristes responsables des attentats de Madrid en 2004, ils mentionnaient aussi Al-Andalus dans leur communiqué.

Le respect passe par l’affirmation de soi

Alors, comment gagner le respect du monde musulman ? Pour Jean-Loup Bonnamy, la clé n’est pas dans une complaisance aveugle, mais dans une affirmation respectueuse de sa propre identité :

Pour gagner le respect des musulmans, un non-musulman ne doit pas vanter la tolérance (imaginaire) de l’islam : il doit affirmer qu’il respecte l’identité musulmane mais qu’il exige le même respect pour son identité à lui.

Jean-Loup Bonnamy

L’essayiste prend l’exemple de Saint Louis, respecté par ses geôliers musulmans durant les croisades pour être resté « le plus fier chrétien qu’on eût jamais vu ». Ou de ces talibans impressionnés d’assister à une messe à Notre-Dame de Paris, lors d’une visite officieuse à la fin des années 1990. Reconnaître les différences permet d’établir un respect mutuel, base de coopération.

Ainsi, plutôt qu’un Âge d’or fantasmé, Emmanuel Macron aurait pu évoquer les alliances ponctuelles entre nobles chrétiens et musulmans d’Al-Andalus, les échanges culturels, sans nier les conflits. Ou le respect mutuel entre le maréchal Lyautey et le sultan du Maroc au début du 20ème siècle, le premier protégeant l’identité marocaine, le second s’appuyant sur la France pour asseoir son pouvoir. Un discours plus nuancé, reconnaissant l’altérité sans l’idéaliser, serait sans doute un meilleur gage de considération.

Un pari risqué et contre-productif ?

En définitive, la tentative d’Emmanuel Macron de séduire ses hôtes marocains en exhumant le mirage andalou semble un pari risqué. Non seulement cette vision idéalisée d’Al-Andalus est historiquement controuvée, mais elle pourrait produire l’effet inverse de celui escompté sur les opinions arabes, en réveillant une certaine fierté conquérante plus qu’en suscitant le respect. Un discours reconnaissant avec franchise les différences et les conflits passés, sans les occulter ni les exacerber, tout en soulignant les exemples de coopération, semblerait un terrain plus sûr pour bâtir des relations apaisées et mutuellement bénéfiques entre la France et le monde arabo-musulman. Comme entre toutes les civilisations, c’est d’une conscience lucide des différences que peut naître une estime réciproque.

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