Dans l’immensité verte de l’Amazonie brésilienne, un chasseur abandonne une carapace de tortue, un autre laisse derrière lui un vase en céramique. Ces indices, découverts il y a trois ans, murmurent une vérité fascinante : des peuples isolés, vivant loin des regards de la société moderne, habitent encore les profondeurs de la forêt. Ces traces, aussi discrètes soient-elles, sont des appels à l’action pour protéger un territoire indigène menacé par la déforestation. Bienvenue dans l’histoire d’Ituna/Itata, une terre aussi vaste que la mégalopole de São Paulo, où la préservation de la forêt et des cultures ancestrales est un combat de chaque instant.
Ituna/Itata : Un Sanctuaire Menacé
Au cœur de l’État du Pará, dans le nord du Brésil, s’étend le territoire indigène d’Ituna/Itata, une zone protégée par une ordonnance temporaire depuis 2011. Ce bout de forêt, aussi grand que certaines des plus grandes villes du pays, est un refuge pour des communautés autochtones dites non contactées, c’est-à-dire sans lien direct avec le monde extérieur. Mais cette protection reste fragile. La déforestation, l’exploitation minière illégale et l’agriculture intensive rongent ce sanctuaire, mettant en péril non seulement la forêt, mais aussi les peuples qui en dépendent.
Les autorités brésiliennes ont renouvelé en juin dernier une mesure visant à restreindre l’accès à cette zone, dans le but de préserver l’intégrité des terres et des populations isolées. Cependant, les organisations de défense des droits indigènes insistent : il faut plus qu’une ordonnance temporaire. Une délimitation permanente du territoire est essentielle pour garantir une protection durable.
Des Indices Fragiles, une Présence Indéniable
Comment sait-on que des peuples isolés vivent encore dans cette région ? Les preuves s’accumulent, bien qu’elles soient subtiles. Depuis les années 1970, des relevés signalent leur présence. Plus récemment, des découvertes comme une carapace de tortue ou un vase en céramique, trouvés en 2009 et il y a trois ans, renforcent cette certitude. Ces objets, abandonnés par des chasseurs ou des artisans, sont des indices matériels d’une vie discrète, mais bien réelle.
« Pour prouver qu’il y a des isolés, l’État a besoin d’indices certifiés, mais pour nous, c’est différent : nous les percevons dans la nature, dans les sons, les présences, parfois les odeurs. »
Mita Xipaya, militante indigène
Dans le village voisin d’Ita’aka, peuplé de 300 âmes du peuple Asurini, les récits de rencontres fortuites avec ces communautés isolées circulent. Takamyi Asurini, un ancien du village, raconte une expérience marquante : un enfant l’observant de loin, ou encore une flèche reçue, laissant une cicatrice sur son flanc. Ces histoires, transmises de génération en génération, témoignent d’une coexistence invisible mais tangible.
Pourquoi ces Peuples Choisissent l’Isolement
Le Brésil recense 114 indices de présence de peuples isolés dans l’Amazonie, la plus grande forêt tropicale du monde. Ces communautés, qui évitent volontairement le contact avec le reste de la société, portent les cicatrices d’un passé douloureux. Depuis l’époque coloniale, les interactions avec l’homme blanc ont souvent rimé avec maladies, violences et pillage des ressources naturelles. Pour beaucoup, l’isolement est une stratégie de survie, un rempart contre l’anéantissement de leur culture et de leur mode de vie.
Selon la Fondation nationale des peuples indigènes (Funai), près d’un quart de ces indices sont officiellement reconnus comme des preuves solides. Cependant, pour des territoires comme Ituna/Itata, les données restent des « indications fortes » en attente d’une étude approfondie. Luiz Fernandes, membre d’une organisation indigène, déplore l’abandon des archives par l’État, qui ralentit la reconnaissance officielle de ces communautés.
Le saviez-vous ? Les terres indigènes délimitées par l’État brésilien perdent moins de 2 % de leur végétation native, contre près de 30 % pour les terres non protégées depuis 1988.
La Déforestation : Une Menace Croissante
Ituna/Itata n’échappe pas à la vague de destruction qui frappe l’Amazonie. Depuis une décennie, ce territoire subit des pressions croissantes : exploitation minière illégale, abattage d’arbres pour l’agriculture, et empiétement par des acteurs cherchant à s’approprier ces terres riches en ressources. Sous la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2022), la situation a empiré. L’ordonnance de protection a été suspendue, faisant d’Ituna/Itata la terre indigène la plus déboisée du Brésil à cette période.
Avec l’arrivée au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva, l’ordonnance a été rétablie. Pourtant, les stigmates de cette période demeurent. Lors d’un survol récent de la région, de vastes bandes de terre dénudée trouaient la végétation, révélant l’ampleur des dégâts. Ces cicatrices dans la forêt rappellent l’urgence d’agir pour préserver cet écosystème unique.
Le Rôle Clé des Peuples Indigènes
Les terres indigènes jouent un rôle crucial dans la préservation de l’Amazonie. Les données sont éloquentes : les zones protégées conservent leur couvert forestier à plus de 98 %, contre seulement 70 % pour les terres non indigènes. Les peuples autochtones, par leur mode de vie en harmonie avec la nature, sont des gardiens de la forêt. Leur présence garantit non seulement la survie de la biodiversité, mais aussi la lutte contre le réchauffement climatique.
« Il ne suffit pas de s’occuper de la forêt, il faut aussi s’occuper des peuples qui y vivent, car c’est à travers eux que la forêt tient debout. »
Toya Manchineri, coordinateur d’une organisation indigène
À l’approche de la COP30, qui se tiendra à Belém, capitale de l’État du Pará, les appels à une démarcation permanente d’Ituna/Itata se font plus pressants. Cette conférence internationale sur le climat, organisée sous l’égide de Lula, qui se positionne comme un champion de la lutte contre le réchauffement, offre une opportunité unique de mettre en lumière ces enjeux.
Vers une Protection Durable
La reconnaissance officielle des peuples isolés d’Ituna/Itata est une étape essentielle pour leur protection. Une délimitation définitive du territoire empêcherait les intrusions illégales et limiterait la déforestation. Mais cela demande des moyens : recherches approfondies, documentation rigoureuse et volonté politique. Les militants indigènes, comme Mita Xipaya, appellent à une mobilisation collective pour préserver ces terres et les cultures qu’elles abritent.
Les indices de présence, bien que fragiles, sont des témoignages d’une résilience extraordinaire. Ils rappellent que l’Amazonie n’est pas seulement une forêt, mais un foyer pour des peuples qui, loin des regards, continuent de vivre en symbiose avec elle. Leur protection est indissociable de celle de l’écosystème qu’ils habitent.
Enjeu | Impact | Solution proposée |
---|---|---|
Déforestation | Perte de 30 % de la végétation non indigène | Renforcer les ordonnances de protection |
Peuples isolés | Menacés par les intrusions illégales | Délimitation permanente des terres |
Biodiversité | Écosystèmes fragilisés | Soutenir les gardiens indigènes |
Un Combat pour l’Avenir
L’histoire d’Ituna/Itata est celle d’un équilibre fragile entre préservation et destruction. Les peuples isolés, par leur existence même, rappellent l’importance de respecter les modes de vie ancestraux. Leur isolement volontaire n’est pas un rejet du monde, mais une affirmation de leur droit à exister, à vivre selon leurs traditions, en harmonie avec la forêt.
À l’heure où le monde se tourne vers l’Amazonie pour lutter contre le changement climatique, la protection des terres indigènes comme Ituna/Itata devient une priorité mondiale. Chaque carapace de tortue, chaque vase en céramique, chaque récit d’une rencontre furtive est un rappel : la forêt et ses gardiens sont indissociables. Leur survie est la nôtre.
Alors que la COP30 approche, le Brésil a l’occasion de montrer l’exemple. En protégeant Ituna/Itata et ses habitants invisibles, le pays peut non seulement préserver un écosystème vital, mais aussi honorer les cultures qui en sont les gardiennes depuis des millénaires. L’avenir de l’Amazonie, et peut-être du monde, en dépend.