Un véritable séisme secoue actuellement le milieu du cinéma français. La Cinémathèque, temple de la préservation du 7e art, vient d’annoncer l’annulation pure et simple de la projection prévue du sulfureux « Dernier tango à Paris ». En cause : l’indignation grandissante des associations féministes face à une scène de viol filmée sans le consentement de la jeune actrice Maria Schneider, à peine majeure à l’époque du tournage en 1972.
Cette décision radicale, prise dans « un souci d’apaisement des esprits » selon l’institution, témoigne de l’ampleur du tollé suscité par la programmation de ce film devenu emblématique des dérives du cinéma. Au cœur de la polémique, la fameuse « scène du beurre », un viol simulé mais bien réel pour l’actrice, imposé par le réalisateur Bernardo Bertolucci et son partenaire Marlon Brando, sans qu’elle n’en soit informée au préalable. Un traumatisme dont Maria Schneider ne se remettra jamais, parlant de « double viol » par l’acteur et le cinéaste.
« Filmer et diffuser un viol reste répréhensible »
Dès l’annonce de la projection, les langues se sont déliées pour condamner ce choix de programmation. L’actrice Judith Godrèche, figure de proue du mouvement #MeToo en France, a dénoncé l’absence de contextualisation et le manque de respect envers la mémoire de Maria Schneider, décédée en 2011. Un avis partagé par le collectif 50/50, qui milite pour la parité dans le 7e art, appelant à une « médiation réfléchie et respectueuse de la parole de la victime ».
De son côté, le syndicat SFA-CGT a rappelé un principe intangible : « filmer et diffuser un viol reste répréhensible ». Dénonçant un acte criminel trop longtemps ignoré au nom de la « création artistique », le syndicat interpelle : « Aujourd’hui, nous savons. Nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas comprendre et voir la portée de cette scène de viol. »
Un électrochoc pour le cinéma français
Au-delà de la polémique, cette affaire agit comme un véritable électrochoc pour le cinéma français. Elle interroge sur la responsabilité des institutions dans la mise en lumière d’œuvres problématiques, mais aussi sur notre rapport à un patrimoine cinématographique parfois troubled. Comment regarder ces films aujourd’hui, à l’aune des combats féministes et de la libération de la parole des victimes de violences sexuelles ?
Pour beaucoup, il est urgent de poser un nouveau regard, plus critique et éclairé, sur ces œuvres qui ont marqué l’histoire du cinéma. Non pas pour les censurer ou les faire disparaître, mais pour les resituer dans leur contexte et en déconstruire les ressorts. Un travail de mémoire nécessaire pour que le 7e art puisse avancer vers plus d’égalité et de respect.
L’équilibre délicat entre art et éthique
La déprogrammation de « Dernier tango à Paris » soulève aussi la question épineuse de l’équilibre entre liberté de création et considérations éthiques. Si l’art a souvent bousculé les frontières du moralement acceptable, peut-il pour autant tout se permettre au nom du génie créatif ? À l’ère de #MeToo et d’une sensibilité accrue aux violences faites aux femmes, la réponse semble de plus en plus clairement négative.
« Nous ne pouvons plus regarder ces images comme avant, en faisant abstraction de la souffrance infligée aux actrices. C’est toute notre culture visuelle qu’il faut requestionner. »
– Une historienne du cinéma
Le cinéma, comme tout art, évolue avec son époque. Il ne peut faire l’économie d’une introspection sur ses pratiques passées, pour mieux se réinventer à l’aune des combats sociétaux actuels. C’est le prix à payer pour que le 7e art reste ce formidable miroir de nos questionnements et de nos aspirations collectives.
Une prise de conscience collective
L’affaire « Dernier tango à Paris » n’est que la partie émergée d’une prise de conscience beaucoup plus vaste. Celle d’une société qui ne veut plus fermer les yeux sur les abus et les violences tapis dans les recoins de sa culture. Du cinéma à la littérature en passant par la musique, aucun domaine artistique n’échappe à cette vague de remise en question.
- Les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc ont libéré la parole des victimes
- Les créateurs sont appelés à plus de responsabilité et d’éthique
- Le public exige des œuvres en phase avec les valeurs d’égalité et de respect
Loin d’être un frein à la création, cette exigence nouvelle peut au contraire stimuler l’inventivité des artistes. En les poussant à imaginer de nouveaux récits, de nouvelles façons de filmer les corps et les désirs, en phase avec les aspirations de notre temps. Le cinéma a tout à gagner à se réinventer dans un dialogue fécond avec les combats sociétaux.
Vers un 7e art plus égalitaire et respectueux
L’annulation de la projection de « Dernier tango à Paris » n’est qu’une étape dans la longue marche du cinéma vers plus d’égalité et d’éthique. Les récentes avancées, comme la mise en place de quotas ou l’éclosion d’un nouveau regard féminin derrière la caméra, témoignent d’une volonté de changement profond.
Mais la route est encore longue. Il faudra du temps et de la détermination pour déconstruire des décennies de culture masculine toxique, pour faire émerger de nouveaux modèles et repères. Le cinéma, par son pouvoir d’influence et de représentation, a un rôle crucial à jouer dans cette transformation sociétale.
« Le cinéma ne peut plus être ce miroir déformant des fantasmes masculins. Il doit devenir un espace d’expression et d’émancipation pour tous et toutes. »
– Une réalisatrice engagée
L’affaire « Dernier tango à Paris » nous rappelle que l’art le plus brillant ne peut plus faire l’économie de l’éthique et du respect. Que les génies d’hier ne sauraient être les modèles d’aujourd’hui. En questionnant son héritage, en ouvrant la voie à de nouveaux regards, le 7e art a une formidable occasion de se réinventer. Pour mieux nous émouvoir, nous faire rêver et penser. En phase avec les combats et les espoirs de notre époque.