Imaginez une adolescente de seize ans qui reçoit un téléphone portable en secret de la part de son professeur. Un cadeau anodin en apparence, mais qui devient vite une chaîne. Des messages jour et nuit, des menaces de suicide si elle refuse un rapport, des violences lorsqu’elle dit non. Ce n’est pas le scénario d’un film d’horreur. C’est ce qui s’est passé à Rouen, pendant six longues années.
Un professeur respecté face à la justice
Jeudi 4 décembre 2025, le tribunal correctionnel de Rouen a rendu son verdict. Guillaume Blavette, 54 ans, enseignant d’histoire-géographie connu localement pour son engagement écologique et ses idées progressistes, écope de quatre ans de prison dont un an avec sursis probatoire. Interdiction définitive d’exercer auprès de mineurs, obligation de soins et maintien en détention. Un dossier qui a bouleversé la salle d’audience et qui soulève des questions dérangeantes sur la protection des élèves.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le schéma parfaitement rodé. Trois victimes, trois jeunes filles présentant les mêmes fragilités : contextes familiaux compliqués, estime de soi fragile, besoin d’être écoutées. Des proies idéales pour un prédateur qui connaissait parfaitement les failles du système.
Coralie, la première victime pendant quatre ans
Coralie avait 16 ans quand tout a commencé. Elle était en classe de première. Lui, c’était son professeur. Un homme charismatique, écoutant, qui semblait comprendre sa détresse. Très vite, la relation dérape. Des baisers volés, puis des rapports imposés. Elle se souvient encore de cette pénétration anale malgré ses pleurs et la douleur insupportable. « Il m’a donné des coups au ventre quand je refusais », confiera-t-elle plus tard.
« Il était demandeur. Moi, c’était mon premier amour et j’étais stressée. Il est la figure de mes cauchemars. »
Coralie, aujourd’hui 23 ans
Quatre ans. Quatre années de relation toxique, de crises d’angoisse, d’une sexualité détruite avant même d’avoir commencé. Quand elle a enfin osé parler, elle a découvert qu’elle n’était pas la seule.
Le même scénario reproduit à l’identique
En 2024-2025, nouvelle année scolaire, nouveau lycée. Aurélie, 17 ans, tombe dans le même piège. Un téléphone offert pour échapper au contrôle parental. Des messages incessants. Des menaces : « Si tu me quittes, je me suicide ». Elle finit par mentir à la police pour le protéger. Par peur. Par amour empoisonné.
Puis Jasmine, 16 ans, en 2025. Même mode opératoire. Même emprise. Même sentiment d’enfermement. « Je disais oui, mais au fond de moi je savais que c’était mal », témoignera-t-elle à la barre, la voix brisée.
Trois jeunes filles. Trois vies abîmées. Et entre-temps, l’enseignant continue d’enseigner tranquillement, suspendu seulement après les premières plaintes.
La défense : bipolarité et perte de repères
À la barre, le professeur reconnaît tout. Il parle d’une « érosion du jugement » après le décès de son fils en 2020 et son divorce. Un diagnostic de bipolarité de type 2 posé tardivement. « J’ai vu en elles des adultes, pas des adolescentes », tente-t-il, les mains tremblantes.
Mais la procureure ne s’y trompe pas. Elle parle d’une absence totale d’empathie, d’un homme qui a sciemment profité de la vulnérabilité de ses élèves. Quatre ans requis. Le tribunal suivra presque mot pour mot.
Un système qui a failli
Comment a-t-on pu laisser cet homme enseigner pendant six ans alors que les premiers faits remontent à 2019 ? Pourquoi a-t-il pu changer de lycée sans qu’aucun signalement sérieux ne bloque son accès aux mineurs ? Les questions brûlent.
On apprend qu’il avait déjà été signalé pour des comportements limites par le passé. Rien n’a été fait. L’Éducation nationale, une nouvelle fois, montre ses failles béantes dans la protection des élèves les plus fragiles.
Les mécanismes classiques de l’emprise sur mineur·e·s en milieu scolaire :
- Repérage des élèves en souffrance familiale ou psychologique
- Positionnement comme confident·e unique
- Offrandes matérielles (téléphones, cadeaux) pour créer une dette
- Isolement progressif de l’entourage
- Chantage affectif et menaces de suicide
- Menaces de représailles scolaires si rupture
Les séquelles à vie
Aujourd’hui, Coralie, Aurélie et Jasmine tentent de se reconstruire. Crises d’angoisse, troubles alimentaires, impossibilité de faire confiance, sexualité en miettes. Certaines ont dû arrêter leurs études. D’autres suivent encore une thérapie intensive.
Elles ont eu le courage de témoigner ensemble au procès. De se regarder. De comprendre qu’elles n’étaient pas coupables. Que le seul responsable, c’était cet adulte qui avait abusé de son autorité.
Et maintenant ?
La peine est lourde. Méritée. Mais elle ne refera pas les années volées. Elle n’effacera pas les cauchemars. L’interdiction définitive d’exercer auprès de mineurs est une maigre consolation : elle aurait dû exister bien avant.
Ce genre d’affaires, malheureusement, n’est pas isolé. Elles révèlent un problème structurel : tant que l’institution continuera de fermer les yeux sur les signaux faibles, tant que les enseignants problématiques pourront être mutés plutôt que radiés, d’autres adolescentes paieront le prix.
À Rouen, trois jeunes femmes ont brisé le silence. Elles ont obtenu justice. Mais la vraie victoire, ce serait que plus jamais une élève n’ait à vivre ce qu’elles ont vécu.
Leur message est clair : si vous êtes victime ou témoin, parlez. Signalez. Ne laissez pas la honte vous enfermer. Il n’y a jamais de consentement libre quand un adulte en position d’autorité cible une mineure vulnérable.
Parce que derrière chaque histoire comme celle-ci, il y a des vies brisées. Et ça, aucune circonstance atténuante ne pourra jamais l’excuser.









